Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
La Présidence française du Conseil de l’Union européenne arrive à son terme. Et on peut dire qu’elle n’aura pas été un long fleuve tranquille…
Oui, les 6 mois de la PFUE ont été d’abord marqués par un programme ambitieux annoncé par le Président Emmanuel Macron en décembre dernier, avec plusieurs objectifs et priorités orientés vers la souveraineté européenne et l’autonomie stratégique. Mais la guerre en Ukraine qui a surgi dès le second mois d’exercice de la PFUE, a chamboulé une partie des projets de la France.
Avant de revenir sur les conséquences de la guerre en Ukraine pour la PFUE, peut-on d’ores- et-déjà dresser un bilan de l’action de la France pendant ces six derniers mois ?
Oui et c’est un bilan assez positif parce que beaucoup de dossiers qui avaient été annoncés comme prioritaires ont effectivement aboutis. On pense notamment au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, la « taxe carbone » européenne dont l’objectif est d’imposer un surcoût aux marchandises étrangères qui ne respectent pas les normes européennes, notamment en matière d’émission de gaz à effet de serre. Les Ministres des Finances européens ont trouvé un accord sur ce texte en mars dernier. Il y aussi l’instrument de réciprocité dans l’accès au marché européen que la France est parvenue à pousser après 10 ans de négociation. Là, l’objectif c’est de limiter l’accès aux appels d’offres européens pour les entreprises issues de pays non-membres de l’UE et qui n’offrent pas des conditions similaires ou réciproques d’accès à leurs marchés. Ici, c’est notamment la Chine qui est visée. Et puis sur le volet numérique aussi la France a réussi à faire aboutir deux règlements importants : celui sur les marchés numériques (le Digital Market Act) qui s’appliquera dès octobre, et celui sur les services numériques (le Digital Service Act).
Et quels sont les dossiers que le Président Macron n’a pas réussi à faire aboutir ?
Rappelons-nous que le programme de la PFUE annoncé en décembre comportait plusieurs volets, dont celui de définir un nouveau modèle européen de croissance. Et il y avait un aspect social et lié à l’emploi, notamment un texte sur le salaire minimum. Les choses ont un peu avancé mais les discussions se poursuivent. Et sur le volet environnemental, et bien la guerre en Ukraine nous a fait revoir nos priorités, surtout en ce qui concerne l’énergie puisque, du fait des sanctions imposées à la Russie sur les importations de gaz notamment, on voit des États recourir à nouveau et bien plus qu’avant au charbon et aux énergies fossiles. Sur le dernier volet du programme de la PFUE intitulé « L’Europe à taille humaine », hormis la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui a rendu ses conclusions en mai dernier, il n’y a pas eu beaucoup d’avancées. Le Président Macron avait annoncé vouloir lancer un grand travail sur l’histoire européenne, ainsi que la mise en place d’un fonds européen de soutien au journalisme. La guerre en Ukraine a obligé la France à prioriser, et ces propositions n’ont pour l’instant pas abouties. Mais il y a de fortes chances que ces initiatives soient reprises par la République Tchèque qui succèdera à la France dans quelques jours. Il est notamment question d’organiser d’ici un an une réunion des universités d’Europe.
On peut dire que c’est une Présidence réussie ?
Oui étant donné qu’une partie des objectifs fixés ont été réalisés et que c’était une présidence marquée par la guerre. Et la France s’est très vite distinguée des autres États membres en adoptant une position de médiateur dans le conflit, même si elle a pu être critiquée. Ça a également été le moment pour la France de réaffirmer son positionnement en faveur d’une Europe plus souveraine, plus politique et d’une révision nécessaire des Traités. Et, même si l’annonce a été très maladroite et qu’elle a manqué de concertation, la proposition formulée par Emmanuel Macron le 9 mai dernier de créer une Confédération politique européenne a montré que la France avait une vision pour l’avenir de l’Europe et surtout de grandes ambitions. La difficulté maintenant – et ça le Président n’y est pas parvenu – c’est de convaincre les 26 autres États. Sur le sujet de la défense européenne qui est toujours un sujet
cher à la France, la guerre en Ukraine a à nouveau complexifier le débat puisque le réarmement massif des européens aurait pu être une grande opportunité pour l’Europe de la défense et l’industrie européenne de défense. Mais c’est surtout le marché américain qui en bénéficie pour l’instant. Et le rôle de l’OTAN a été réaffirmé plus que jamais. Donc sur ce dossier-là, il y a encore beaucoup de travail.
Si vous deviez retenir un impact positif de cette présidence française, ce serait quoi ?
Il y en a plusieurs même s’il y a aussi quelques déceptions bien sûr. Mais je dirais que l’un des impacts vraiment positifs c’est que ces 6 mois ont permis d’aborder enfin des sujets cruciaux pour l’avenir de l’Union européenne, des sujets qui étaient souvent considérés comme des tabous : sa défense, son indépendance énergétique, la révision de ses traités, sa place dans les relations internationales, pour n’en citer que quelques-unes. Et ces questions, ce ne sont pas que les chefs d’États et de gouvernement qui se les sont posées, mais une bonne partie des citoyens et des opinions publiques. L’Europe, et surtout du fait de la guerre en Ukraine bien sûr, a beaucoup fait parler d’elle, en bien et en moins bien. Mais au moins les Européens ont pu se rendre compte de son rôle, de ses forces, mais aussi de ses défaillances. Et l’espoir derrière tout ça, et bien c’est que l’Europe puisse avancer, poussée et encouragée par les peuples, et pas uniquement par les États. Alors on en est encore loin, mais la PFUE et le contexte de la guerre en Ukraine auront au moins eu le mérite de faire parler de l’Europe. Et ça, c’est un prérequis si on veut développer le sentiment d’appartenance et impliquer davantage les peuples dans la construction européenne. Et si on veut enfin faire de l’Union européenne l’instrument de puissance et de protection qu’elle mérite de devenir.
Joséphine Staron au micro de Laurence Aubron