Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier Costa, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
C’est fondamentalement problématique.
D’abord, l’intégration européenne s’est toujours faite dans le rejet de la notion de souveraineté, puisque les États n’étaient pas prêts à sacrifier la leur. L’idée de souveraineté est donc en contradiction avec la nature humaniste, pacifiste et essentiellement économique et commerciale du projet européen.
La question de la souveraineté de l’Europe est toutefois une vieille marotte française, depuis les plans Fouchet du début des années 1960. Emmanuel Macron partage cette vision gaullienne de l’Union, qui aurait vocation à s’imposer comme une vraie puissance à l’échelle globale. S’ajoute à cela un contexte de campagne, qui l’encourage à cultiver ce registre, comme lorsqu’il est allé rendre visite à Vladimir Poutine.
L’idée de puissance européenne serait donc une simple posture ?
Non, car il y a un contexte favorable à une évolution des choses. Les discussions actuelles sur la souveraineté de l’Union, sur sa puissance ou sur ce qu’on appelle son « autonomie stratégique » n’existaient pas il y a cinq ans. Les choses évoluent vite.
Lorsqu’elle a été nommée, en juillet 2019, la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a qualifié sa Commission de « géopolitique », laissant entendre que l’Union devait désormais penser son action à l’échelle globale et y trouver sa place. Les réflexions vont aussi bon train dans les cercles européens et les capitales.
En effet, les principales menaces (changement climatique, pandémies, terrorisme, épuisement des ressources…) sont mondiales, et doivent être appréhendées à cette échelle. Par ailleurs, la pacification globale que l’on espérait après l’effondrement du bloc soviétique n’a pas eu lieu : le discours de paix et de coopération de l’Union, son attachement à la démocratie et à la liberté individuelle, son idéal de libre-échange et de multilatéralisme ne sont pas partagés par les autres blocs. Les États-Unis sont dans une démarche isolationniste – que Joe Biden n’a pas remise en cause ; la Chine a une attitude commerciale agressive et les valeurs européennes ; la Russie rejoue le scénario de la guerre froide.
Il y a donc un consensus sur la nécessité de faire de l’Union une puissance ?
Oui : plus personne ne conteste l’idée que l’Union doit exister à l'échelle mondiale autrement que comme un acteur commercial et un prosélyte de ses propres valeurs. Cette idée est au centre de la PFUE et est soutenue par de nombreux leaders nationaux. Mais les contours de la politique de puissance de l'Union restent à tracer. Et parler d’Europe-puissance à Bruxelles est délicat, car cela implique d’admettre que l’Union n'a pas su façonner le monde selon ses propres valeurs et conceptions.
Alors, quelle souveraineté pour l’Union ?
Aujourd’hui, l'affirmation de la souveraineté de l'Union ne peut se faire qu'au prix de clarifications. Le problème, c’est qu’il y a des États qui ont une tradition d’interventionnisme et une politique de défense ambitieuse, d’autres qui n’en ont pas, et d’autres encore qui sont attachés à leur neutralité. Ensuite, il y a aussi des rapports très différents des 27 aux autres puissances : États-Unis (et OTAN), Chine et Russie. Tout cela ne facilite pas la détermination de la politique de puissance de l’Union. Le mérite de la Présidence française, c’est d’essayer de faire bouger les lignes – par exemple sur le dossier ukrainien. Car il faut bien commencer quelque part.
Olivier Costa au micro de Laurence Aubron