Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
Anna Creti est Professeure d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, qui développe des programmes de recherche autour de l’économie du changement climatique.
Un mot d’origine grecque circule de plus en plus dans la sphère de la politique climatique européenne, la Taxonomie. De quoi s’agit-il ?
La taxonomie représente un système de classification des activités/secteurs économiques jouant un rôle-clé dans l’adaptation et l’atténuation au changement climatique. Les taxonomies peuvent être associées à des « couleurs », si elles identifient des activités économiques et/ou des produits financiers qui sont déjà conformes à des objectifs environnementaux (« vert » ou « vert foncé »). Elles peuvent également identifier des activités qui sont sur une voie de transition vers le vert (« transition » ou « vert clair »). Les « taxonomies brunes » peuvent également jouer un rôle, celui d’identifier des activités qui ne sont pas jugées compatibles avec les objectifs environnementaux. En Europe en particulier, les objectifs de la taxonomie sont liés à ceux du plan d’action sur le financement de la croissance durable, publié en 2018 : réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables; gérer les risques financiers découlant du changement climatique, de la dégradation de l’environnement et des questions sociales ; et favoriser la transparence et le long terme dans l’activité financière et économique. Dans ce cadre, une définition claire de ce qu’est une activité économique contribuant au développement durable était donc nécessaire.
La volonté de mettre en place une taxonomie est-elle une singularité européenne ?
L’Europe n’est pas la seule à s’être lancée dans ce délicat exercice. Plusieurs autres juridictions ont également abordé la question des taxonomies et les définitions de la finance durable. Ainsi, la Banque populaire de Chine a publié en 2015 la première version de son catalogue de projets d’obligations vertes, communément appelé « la taxonomie chinoise ». Au Japon, le ministère de l’Environnement a adopté en 2017 des directives relatives aux obligations vertes. Les Pays-Bas ont une approche législative des prêts verts depuis 1995. La France a créé le label GreenFin pour les fonds d’investissement de détail en 2015. Toutefois, ces différentes taxonomies ne sont pas « interconnectées », chacune ayant ses principes. Et surtout, il y a un grand absent : les Etats Unis, où aucune forme de classification ne fait consensus.
Comment un investissement peut être conforme à la taxonomie ?
Un investissement ou une activité économique est conforme à la taxonomie si elle respecte au moins un des six objectifs environnementaux établis dans ce cadre : atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique ; utilisation durable et protection de l’eau et des ressources marines ; transition vers une économie circulaire ; prévention et contrôle de la pollution ; et enfin, protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes. La difficulté est qu’il faut préciser comment ces objectifs sont respectés. Les activités économiques doivent être en mesure de démontrer qu’elles apportent un bénéfice substantiel à au moins un des six objectifs environnementaux, tout en évitant d’avoir des effets négatifs sur les cinq autres (le critère du « do not significantly harm » ou pas de dommage substantiel). Et là on passe de la taxonomie à la sémantique…l’exercice est de plus en plus délicat.
Concrètement, qui est concerné ?
La taxonomie vise en premier lieu le secteur financier, en tant que moteur de l’investissement vert. Sont également concernés les assurances-vie ou les portefeuilles en gestion sous mandat. Mais plusieurs applications volontaires de ces dispositions sont souhaitées, notamment par les institutions de crédit au sens large. La taxonomie est un pilier de la nouvelle finance durable, du Green Deal et de la transition énergétique.
La taxonomie est-elle déjà une réalité?
On peut dire que les institutions financières d’une part, et les investisseurs de l’autre ont déjà anticipé ces principes même si la taxonomie n’est pas encore complétement opérationnelle. Le dernier acte délégué présenté par la Commission le 31 décembre, juste avant minuit, devrait être approuvé formellement sous peu. Accouchement difficile, après des longs débats sur la place du nucléaire et du gaz dans la taxonomie. Finalement, ce sont des jumeaux, les deux énergies faisant partie du périmètre de la taxonomie. Mais plusieurs pays n’excluent pas des actions en justice. Dommage. Au lieu d’accélérer la transition grâce à la taxonomie, on risque à nouveau de la ralentir.
Anna Creti au micro de Laurence Aubron