Aujourd’hui, Quentin Dickinson, vous nous avez déniché deux décisions gouvernementales récentes, l’une en Turquie, l’autre au Royaume-Uni, que rien ne paraît rapprocher…
Quoique… Voyons d’abord le cas turc. Pour nous, francophones, le pays s’appelle la Turquie ; pour les germanophones, die Türkei ; pour les italianophones, Turchia – bref, vous m’avez compris, chaque langue a souvent sa version propre de la toponymie d’un pays étranger, vous me pardonnerez de souligner pareille banalité.
Sauf que – dit-on – quelqu’un a eu la curieuse idée d’aller révéler au président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui ne connaît aucune langue étrangère, si ce n’est quelques citations du Coran en arabe classique, que la version en anglais du nom de son pays se dit Turkey – qui veut aussi dire dinde. Furieux que l’on puisse prendre son pays pour le dindon de la farce planétaire, M. Erdoğan a sur-le-champ décrété que son pays s’appellerait désormais de son nom turc dans toutes les langues du monde (il y en a environ sept mille).
Donc, mémorisez bien : vous n’irez plus en Turquie, mais en Türkiye, ce dont ont été informées les institutions internationales dont le pays est membre. Et encore, on a échappé au pire : le président turc aurait pu exiger l’usage de la version longue du nom de son pays : Türkiye Cumhuriyeti, c’est-à-dire République turque.
On croit rêver !
Pour vous qui pourriez croire à un canular, je puis vous assurer qu’aujourd’hui, les conférences de presse du secrétaire général de l’OTAN auxquelles j’ai assisté donnent lieu à d’amusantes contorsions orales de la part de M. Jens Stoltenberg, où l’on voit ce Norvégien injecter du turc dans une intervention improvisée en
anglais.
Et les Britanniques dont vous faisiez mention, ils ne vont tout de même pas obliger la population du globe à dire United Kingdom à la place de Royaume-Uni, quand même ?
Certes non, mais l’on s’en rapproche. Car c’est l’effet Brexit. Vous vous souviendrez du remplacement obligatoire des quelque quarante-cinq millions de passeports britanniques, de façon que disparaisse sur la couverture la mention infamante de l’appartenance du pays à l’Union européenne. L’opération aura coûté une fortune au Royaume-Uni ; l’ironie du sort a d’ailleurs voulu que ce juteux contrat aille, non à une entreprise britannique, mais à une imprimerie franco-néerlandaise.
Mais c’est d’une décision plus récente que vous voulez nous entretenir ?
En effet. La déseuropéanisation du Royaume-Uni post- Brexit s’est également abattue sur tous les véhicules routiers, poids-lourds, utilitaires légers, et voitures particulières – en tout, sur les plus de trente-neuf millions actuellement en circulation.
Auparavant, leurs plaques d’immatriculation comportaient à droite la bande verticale bleue avec les étoiles européennes et la mention "GB" en jaune dessus – conformément à la réglementation de l’UE. Désormais, toutes les plaques ont dû être changées – aux frais des propriétaires – pour effacer toute référence à celle-ci.
Mieux – et c’est là que se rejoignent la pensée de M. Erdoğan et celle de M. Johnson – le gouvernement britannique a officiellement averti les instances automobiles internationales que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ne serait plus désigné par le signe "GB" (instauré en 1909) mais désormais par le signe "UK", c’est-à-dire les initiales de "Royaume-Uni" en langue anglaise. Vous êtes priés de ne pas confondre avec l’Ukraine.
Pour la petite histoire, Gibraltar et les Îles anglo- normandes conservent le "GB" devant l‘initiale de leur nom. A Londres, on a dû les avoir oubliés.
Quelle leçon – s’il y en a une – peut-on tirer de ces deux exemples, le turc et le britannique ?
Le constat est simple : vous prenez un secteur qui ne vous demande rien, vous n’y apportez surtout aucun modification, vous proclamez dans le monde entier qu’il a un nouveau nom, et vous claironnez que vos concitoyens et administrés peuvent être fiers de la façon dont vous faites peser votre pays à l’international. C’est le verbe impénitent au service de l’immobilisme actif.