L'édito européen de Quentin Dickinson

Tourisme sous haute surveillance

Photo de Diane Picchiottino sur Unsplash Tourisme sous haute surveillance
Photo de Diane Picchiottino sur Unsplash

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, Quentin Dickinson, vous vous faites du souci pour Donald TRUMP – jusqu’ici, on ne vous connaissait pas vraiment cette subite empathie…

Les États-Unis d’Amérique sont, depuis plus de soixante-quinze ans, la première destination en nombre de touristes venus du reste de la planète. Voilà qui rapportait chaque année près de 200 milliards d’Euros à l’économie américaine et assurait 18 millions d’emplois permanents ; parallèlement, les recettes fiscales qui en dérivaient représentaient un bon 7 % des revenus totaux du gouvernement étatsunien – mais cela, c’était en 2019.

Car cette année, était prévue une baisse de plus de 22 % : en effet, les touristes étrangers se détournent en nombre en raison d’un Dollar fort et du coût des déplacements intercontinentaux. Mais l’examen de cette baisse de fréquentation par pays d’origine des touristes est révélateur d’une raison supplémentaire.

Et quelle est-elle ?...

Voyez plutôt : les touristes britanniques, moins 15 % ; les Allemands, moins 28 % ; les Coréens, moins 14 % ; d’autres pays, marchés-clefs, tels l’Espagne, l’Irlande, et l’Amérique latine, sans oublier les voisins canadiens, chute de 24 à 33 %.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ce désamour subit est politique.

Mais ces estimations datent d’il y a plus de six mois – autant dire qu’elles sont déjà totalement dépassées par l’actualité.

A quoi pensez-vous en particulier ?...

Il ne faut pas chercher bien loin : il y a deux jours, Donald TRUMP faisait annoncer qu’à partir d’une date qui reste à fixer au début de l’année prochaine, tout touriste étranger souhaitant se rendre aux États-Unis devra soumettre aux autorités américaines une masse consternante de données personnelles.

Ces dernières heures, nombre de rumeurs, y compris les plus fantaisistes, ont circulé à ce propos. Pour être bien compris, en voici la liste complète, telle que précisée dans le document N° 2025-22461 du Service des Douanes et de la Protection des Frontières des États-Unis :

a. Numéros de téléphone personnels utilisés au cours des cinq dernières années ;

b. Adresses de courrier électronique personnel utilisées au cours des dix dernières années ;

c. Adresses IP et métadonnées des photographies d’identité soumises par voie électronique ;

d. Identité des membres de la famille du requérant (parents, conjoint, frères et sœurs, enfants) ;

e. Numéros de téléphone personnels utilisés au cours des cinq dernières années par lesdits membres de la famille du requérant ;

f, g, h. Dates et lieux de naissance, ainsi que les adresses de domicile desdits membres de la famille du requérant ;

i. Données biométriques : visage, empreintes digitales, ADN, iris oculaire ;

j. Numéros de téléphone professionnels utilisés au cours des cinq dernières années ;

k. Adresses de courrier électronique professionnel utilisés au cours des dix dernières années.

Voilà, c’est tout (si l’on peut dire), je vous en laisse juge.

Mais c’est proprement stupéfiant !...

Vous avez la même réaction que l’eurodéputé centriste irlandais Barry ANDREWS, qui soulignait hier que « même les pires régimes autoritaires du monde n’appliquent pas un tel système ».

Mais je veux m’en tenir pour aujourd’hui aux seules conséquences pour le tourisme américain.

Que prévoyez-vous à cet égard ?...

On peut s’attendre à ce que les touristes, notamment européens, renoncent en grand nombre à un projet de séjour aux États-Unis ; de même, les réunions professionnelles se tiendront plus volontiers au Canada voisin ou en visioconférence.

Il ne faudra pas s’étonner non plus de l’engorgement des services officiels américains, tant auprès des consulats à l’étranger qu’à l’arrivée dans les ports, aéroports, et frontières terrestres des États-Unis.

Le manque à gagner prévisible pour le secteur touristique sera d’autant plus cuisant qu’en 2026, de nombreux événements sont organisés autour des 250 ans de la Déclaration d’indépendance du pays, le 4 juillet, ainsi que du 11 juin au 19 juillet à l’occasion de la Coupe du monde de Football, en attendant, en 2028, les Jeux olympiques de LOS-ANGELES.

On suppose que les organisateurs de cette Coupe du monde réagissent vivement, Quentin Dickinson ?...

Pas du tout : mise en cause par les associations de footeux et sollicitée par les médias, la FIFA s’abstient prudemment de tout commentaire et renvoie aux autorités américaines.

Il est cependant acquis que, sauf changement de pied à la Maison-blanche, c’est tout l’équilibre financier de cette grand’messe footballistique qui risque d’en pâtir.

Reste à voir si la récente et guignolesque remise d’un Prix de la Paix de la FIFA à Donald TRUMP l’amènera à revoir son jeu.

Ce doit être la glorieuse incertitude du sport, 2.0.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.