Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous voulez vous pencher sur un détail…
C’est vrai, et on le vérifie tous les jours, dans les affaires européennes, on aurait tort de ne s’en tenir qu’aux textes et aux grandes lignes des politiques mises en œuvre par les institutions de l’UE – mieux dit : négliger ce qui paraît n’être qu’un détail risque parfois d’occulter l’essentiel.
Vous avez un exemple de cela ?...
Ici à BRUXELLES, ce ne sont pas les exemples qui manquent. Prenons le cas de la représentation de la France aux réunions du Conseil européen, ces sommets où chacun des vingt-sept pays-membres envoie son chef d’État ou son chef de gouvernement, selon la constitution propre à chaque État.
En temps normal, c’est le Président de la République qui occupe le siège de la France.
En temps normal, dites-vous, mais il y a eu les trois cohabitations. Comment cela s’est-il passé ?...
La Constitution n’ayant pas directement prévu ce cas, il a bien fallu trouver un arrangement entre l’Élysée et Matignon. A l’époque des cohabitations qui, de façon non-continue, se sont étendues de 1986 à 2002, chaque pays occupait deux sièges : celui du Président ou Premier ministre et celui du ministre des Affaires étrangères. Le compromis trouvé pour la France consistait à céder la place du ministre des Affaires étrangères au Premier ministre, le Président de la République conservant le sien. Mais ce système ne serait plus possible aujourd’hui – d’autant que nous ne sommes pas vraiment en situation de cohabitation.
Et pourquoi donc ?...
Parce que, depuis 2009, le Traité de Lisbonne limite le tour de table aux seuls chefs d’État ou de gouvernement, l’un ou l’autre ministre des Affaires étrangères pouvant au besoin être appelé en renfort par son chef, mais pas systématiquement et pour tous les pays simultanément.
Les ministres des Affaires étrangères sont réunis dans une salle voisine, où une installation audiovisuelle leur permet de suivre les échanges ; chaque pays a droit à un haut-fonctionnaire porteur de messages, et chargé de faire la navette entre ces deux lieux.
Mais un Sommet européen est prévu prochainement – comment la France s’y trouvera-t-elle représentée, alors ?...
En effet, et ce sera les 17 et 18 octobre, ici, à BRUXELLES. On peut imaginer que seul le Président soit présent ; ou seul le Premier ministre ; ou les deux, côte-à-côte ; ou le Président, seul pour les questions qui relèvent de son domaine réservé : affaires étrangères et défense, et le Premier ministre, seul pour tout le reste : agriculture, environnement, énergie, industrie, notamment.
Clairement, aucune de ces formules n’est entièrement satisfaisante.
Une lecture stricte de la Constitution et des traités de l’UE peut aboutir à conclure, comme le soutient l’ancien député européen Jean-Pierre AUDY, que le Président, n’étant pas responsable devant le Parlement, sauf cas de destitution actuellement inimaginable, ne devrait pas siéger aux sommets européens, où la responsabilité démocratique permanente est un critère obligatoire, dont jouit en revanche le Premier ministre.
Mais il y a une complication supplémentaire, Quentin Dickinson…
Vous avez raison, et elle est de taille : c’est que toutes les politiques conduites par l’Union européenne sans exception ont une incidence interne aux pays-membres et un volet international indissociable. Exemple : la défense, c’est international (donc, c’est pour le Président), mais l’industrie de défense, c’est national (et, de ce fait, revient au Premier ministre).
Comment diable va-t-on régler ce casse-tête avant le prochain sommet, alors ?...
A dire vrai, à l’heure qu’il est, je n’en sais rien. L’opinion ne comprendrait sans doute pas l’absence de Michel BARNIER, dont la légitimité en matière européenne éclipse celle d’Emmanuel MACRON, tout comme son actuelle cote de popularité.
En tout cas, cette simple histoire de chaise(s) et de préséance provoque déjà l’hilarité dans les autres capitales de l’UE et, plus durablement, une nette perte de prestige et d’influence de la France, sans distinction d’ailleurs entre l’Élysée et Matignon.
Alors, redisons-le : ici, il faut toujours se méfier de tout élément apparemment sans importance. Souvent, c’est le détail qui tue.
Un entretien réalisé par Laurent Pététin.