Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous voulez percer la carapace de faux-semblants, d’autopromotion à toute heure, et de bruyants non-dits pour tenter de savoir de quel carburant s’alimente la tête de Donald TRUMP…
De toutes les vies antérieures de Donald TRUMP jusqu’à ce qu’il fasse irruption en politique en 2015, c’est sans doute ses onze années passées jusque-là à présenter l’émission-concours de téléréalité The Apprentice qui aura le plus modelé le personnage abrupt et incohérent, inculte et imprévisible, qui dirige aujourd’hui la première puissance économique et militaire de la planète.
The Apprentice – qu’on traduira par Le Stagiaire plutôt que par L’Apprenti – consistait en un affrontement entre cadres d’entreprise en début de carrière, porteurs de projets de développement de leurs jeunes pousses respectives. Leur rivalité est exacerbée par Donald TRUMP, maître absolu du jeu, qui, à la fin de chaque émission, élimine l’un des concurrents par la réplique désormais célèbre : You’re Fired !, Vous êtes viré !, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un, qui remporte la mise. Pour le vainqueur, l’enjeu aura été réel et payant ; tous les autres, victimes de brimades et d’humiliations, n’auront été que les figurants insignifiants d’une caricature de la culture d’entreprise étatsunienne.
Simple arbitre d’un jeu télévisé, Donald TRUMP aura peu à peu pris goût à cette artificielle toute-puissance, jusqu’à s’imaginer que la méthode pouvait s’appliquer à la vraie vie, loin des studios de production.
Et selon vous, il avait donc raison de le penser ?...
Absolument. Aux États-Unis, la politique est affaire de culot et d’argent, et Donald TRUMP avait beaucoup de l’un et, en dépit de ses mauvaises affaires personnelles, il disposait de pas mal de fonds venus de son père, richissime spéculateur immobilier, et des amis de celui-ci.
La politique était l’objectif évident et naturel pour qui avait acquis une réputation d’intransigeance et un nom facile à retenir : Donald, comme le canard de Walt Disney, et Trump, mot qui, en anglais, signifie atout – le tout servi par un physique imposant.
Mais comment s’y est-il pris pour s’introduire au Parti républicain ?...
Par un calcul dépourvu de toute affinité idéologique – après tout, jusque-là, on lui connaissait des sympathies plutôt du côté des Démocrates.
Une rapide étude de marché lui permit de constater qu’il ne pouvait prétendre être le successeur logique et légitime des Démocrates CLINTON et OBAMA ; en revanche, la dernière présidence d’un Républicain, le terne Georges BUSH fils, avait laissé le parti quelque peu déboussolé et à la recherche d’un nouveau souffle.
TRUMP et ce parti étaient faits l’un pour l’autre.
Comment cela ?...
En 2015, le Parti républicain était aux mains d’hommes mûrs, connus et compétents, mais qui peinaient à inspirer une relève crédible. Donald TRUMP leur parut en être l’instrument et, un peu rapidement, pensaient pouvoir le piloter à leur guise.
Or, à peine élu, TRUMP allait travailler sans ménagement à marginaliser tous ceux qu’il n’avait pu asservir, tout en peuplant le parti de nouveaux-venus excentriques et radicaux, dont il ne perdait pas une occasion de leur rappeler qu’ils lui devaient leur bonne fortune.
La suite est connue.
Mais Donald TRUMP ne se résume tout-de-même pas à cette insatiable soif de toute-puissance ?...
En fait, l’originalité de TRUMP, c’est que c’est son image qui lui importe plus que tout, partout et à tout moment ; l’exercice du pouvoir ne l’intéresse pas vraiment. Cette obsession, plutôt rare dans la sphère publique, nous l’avions constatée naguère chez Silvio BERLUSCONI.
Mais, vous avez raison, Donald TRUMP ne se résume pas uniquement à cela.
Que voulez-vous dire ?...
Il y a aussi chez lui une infatigable et permanente quête de l’enrichissement – ce n’est pas qu’il ait peur de manquer : compte tenu de son âge, on peut affirmer sans grand risque de se tromper qu’il est à l’abri du besoin jusqu’à la fin de ses jours.
Mais rappelez-vous : lors de son premier mandat, il réserve sa première visite d’État à l’Arabie séoudite ; sa famille et ses proches y font des affaires en or. Et, lors de son second mandat, même destination. En prime, le voisin qatarien lui offre un avion.
Parallèlement, l’imbrication dans les affaires de l’État de son entreprise familiale, gérée par ses deux fils aînés, légitime comme jamais le délit d’initié et banalise les conflits d’intérêt.
Comme pour nombre de milliardaires à la fortune récente, oligarques ou autres, il faut comprendre que c’est un réflexe à double fond qui, sous l’apparence de la légèreté d’une forme de jeu, sert à se rassurer qu’on en est toujours capable, qu’on est resté indispensable à la marche du monde, que l’on excite toujours la considération et l’envie – voire la haine – des gens d’en bas, bref, qu’on existe.
La justice étant en l’espèce impuissante, il reste au sort de disposer de Donald TRUMP et à l’Histoire de le juger – mais ceci n’est pas du ressort de cette chronique.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.