La semaine dernière, le prétexte de votre Édito’, c’était la déconfiture d’une politicienne belge – alors, cette semaine, ce sera quoi ?
Ce sera une pierre, plus précisément un bloc de grès parallélipipédique pesant 152 kilogrammes. Usée par le temps, on devine la trace d’une croix, creusée sur la face supérieure ; ajoutées il y a plusieurs siècles, deux anneaux de fer en permettent plus aisément le déplacement.
Cette pierre a été extraite et taillée en Palestine il y a quelque 3.000 ans, et aurait, dit-on, servi d’oreiller au Prophète Jacob, la nuit de sa vision de l’échelle qui conduit à Dieu.
Au huitième siècle, retour des pèlerinages en Terre sainte, et la pierre se met à voyager : l’Égypte d’abord, puis la Sicile, l’Espagne, l’Irlande. Dans ce pays, elle est exposée au sommet de la montagne magique de Tara, avant que des Écossais s’en emparent et la rapportent chez eux, où elle est installée, pour toute éternité, pensait-on, dans la chapelle de l’Abbaye de SCONE.
Belle histoire, si l’on veut, mais quel rapport avec l’actualité en Europe ?
Patience, j’y venais. Cette Pierre de Scone, comme on l’appellera depuis, n’est pas un vulgaire caillou dans l’histoire de notre continent. C’est que les rois d’Écosse se faisaient couronner, assis sur elle, gage d’un lien sacré et de la continuité légitime du pouvoir depuis le neuvième siècle de notre ère.
Mais en l’an de malheur 1296, la soldatesque du Roi d’Angleterre Édouard Ier profanera l’abbaye pour voler la Pierre et l’amener à LONDRES, à l’Abbaye de Westminster, où elle fut sertie dans le piétement du trône des monarques anglais, et, ensuite, britanniques, qui, à ce jour, se font couronner, assis au-dessus d’un symbole, d’abord de l’asservissement de l’Écosse à l’Angleterre, et, plus récemment, de l’unité du Royaume-Uni.
Et les Écossais n’ont jamais protesté et réclamé la restitution de leur bien ?
Bien sûr, au fil des siècles et par tous les faibles moyens à leur disposition. Le Traité anglo-écossais de Northampton de 1328 prévoyait d’ailleurs cette restitution – mais le jour prévu, une importante foule en colère, accourue devant Westminster, en empêcha la réalisation. Avec le temps, l’aura de la Pierre et l’indignation collective des Écossais allaient croître de pair ; dans des circonstances mystérieuses, une plaque de métal, aujourd’hui perdue - pour autant qu’elle ait jamais existée – apparut sur la Pierre, où se serait trouvée gravée, en gaélique ou en vieux-norrois, selon les versions, la prophétie suivante : ‘Là où se trouvera cet objet sacré, là s’élèvera le règne des Écossais’.
Connaître l’histoire de la Pierre de la Destinée, son nom à la fois poétique et politique, est indispensable à la compréhension des mille liens, non-dits, et malentendus qu’entretiennent entre eux les nations anglaise et écossaise.
…des Écossais, qui ont tout-de-même tenté – et réussi – le coup de force…
C’est en effet un incroyable et rocambolesque épisode. Nous sommes à la veille de Noël, en 1950. Quatre étudiants de l’Université de GLASGOW (une fille, trois garçons) prennent la route à bord de deux antiques FORD Anglia, et parviennent à LONDRES. L’un deux, le futur ténor du barreau Ian HAMILTON, se laisse enfermer cette nuit-là dans l’Abbaye de Westminster, caché dans un placard. Il fera entrer ses complices, qui extrairont la Pierre du trône, la traîneront jusqu’à leurs voitures, et la rapatrieront en Écosse plus de cinq siècles après son exil forcé.
Ces étudiants n’ont rencontré aucun obstacle ?
Que si ! Pratiquement rien ne s’est déroulé comme prévu, il y a eu de nombreux contretemps, dont le principal aura été qu’en déplaçant la Pierre, ils en ont détaché une partie, dont on comprendra par la suite qu’elle avait été endommagée lors d’un attentat à la bombe au début du XXe siècle, attentat dû aux Suffragettes, ces féministes de la première heure qui ne reculaient pas devant le terrorisme pour arracher le droit de vote.
Le plus amusant aura été les réactions surréalistes de la police, des milieux politiques, et de la presse, qui, à l’occasion, ne rechignait pas à en rajouter une louchée. On vida en vain la pièce d’eau de Hyde Park, et on en vint à évoquer la piste de la main d’une puissance étrangère – après tout, l’Écosse n’avait-elle pas été l’alliée fidèle de la France ?
Et l’histoire se termine bien ?
Oui. Les étudiants remirent la Pierre aux autorités dans les ruines de l’Abbaye d’Arbroath, qui la réexpédièrent à LONDRES, et les quatre ne firent l’objet d’aucune poursuite.
Mais alors qu’on pensait enterrée la cause de cette pierre dans le jardin britannique, voilà que plus de quarante ans après – et à la surprise générale – le Premier ministre britannique de l’époque, le Conservateur John MAJOR, annonce la rétrocession de la Pierre à l’Écosse, à la condition qu’elle revienne provisoirement à l’Abbaye de Westminster le temps de chaque couronnement.
Ce qui fut le cas, pour la première fois, le 6 mai dernier.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.