Cette semaine, vous me disiez vouloir raisonner sur la décence en politique, c’est bien votre intention ?
En effet, et je commencerai en vous parlant d’une femme – et je dois vous avouer que,nos nombreux amis auditeurs belges mis à part, gageons que les états de service de Mme Sarah SCHLITZ ne sont guère connus du plus grand nombre d’entre vous ; on peut ajouter que sa carrière politique paraît pour l’heure fortement compromise, même si, comme le répétait volontiers Gaston DEFFERRE, « En politique, on n’est jamais vraiment fini tant qu’on n’est pas dans la caisse » (comprenez : dans son cercueil).
Mais qu’a donc pu faire cette élue écologiste liégeoise pour attirer votre regard réprobateur ?
Quelques peccadilles, pour commencer : exerçant pour la première fois des fonctions ministérielles (en l’occurrence, celles de Secrétaire d’État fédérale belge à l’Égalité des Genres, à l’Égalité des Chances, et à la Diversité), elle a jugé bon de faire apparaître son logotype électoral sur les documents officiels de son ministère. Cette fâcheuse confusion des genres (oui) révélée par l’opposition, elle a commencé par nier les faits, avant de se décharger courageusement sur ses collaborateurs, à l’entendre trop zélés. Son chef, le Premier ministre, le libéral flamand Alexander de CROO, exige de sa part des excuses publiques au Parlement, à qui on ne peut nier qu’elle a menti.
Elle a ensuite l’idée de monter une exposition dans une caserne désaffectée, exposition intitulée Les LGBTQIA+ sous l’Occupation nazie en Belgique. L’initiative est accueillie avec une certaine indignation, teintée d’ironie, de la part, en particulier, d’un député nationaliste flamand, le sieur LOONES, qui relève que ladite caserne est tristement célèbre pour avoir servi, de 1940 à 1945, de centre de tri et de transit de dizaines de milliers de juifs et de roms, première étape vers les camps de la mort, et que les homosexuels ne représentaient qu’une infime partie de ces malheureux.
Mais cela faisait quand même partie du mandat de Mme SCHILTZ, non ?
Sans doute – mais ce qui ne l’était certainement pas, c’est la campagne de dénigrement que ses collaborateurs ont ensuite déclenchée contre M. LOONES, dont l’action politique, était-il abondamment écrit (et repris) sur les réseaux sociaux, s’inspirait de l’idéologie nazie. Hurlements de toutes parts, nouvelles excuses de Mme SCHILTZ devant les parlementaires, désaveu du Premier ministre, démission de l’intéressée.
On vous suit, mais où voulez-vous en venir ?
Cette histoire est celle d’une jeune imprécatrice échevelée, qui est persuadée que la politique consiste à dénoncer et à accabler, à bannir et à gommer toute idée et toute personne qui ne correspondraient pas à l’organisation sociétale qu’elle appelle de ses vœux.
Ce qui est préoccupant dans cette lamentable affaire, c’est que Mme SCHILTZ ne constitue pas un cas isolé ; des Sarah SCHILTZ, il en existe à des centaines de milliers d’exemplaires dans tous les pays démocratiques de la planète, qui sont autant de fossoyeurs enthousiastes du dialogue et de la concertation, de la négociation et du respect d’autrui qui sont les vrais, les incontournables ressorts de la vie publique.
« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » s’exclamait déjà SAINT-JUST il y a plus de deux siècles, en résumant bien l’exclusion sans appel qui devait frapper les mal-pensants de toutes les époques, mais aussi – involontairement – que la mise en œuvre d’une intention généreuse est perpétuellement au risque du naufrage.
Ce qui frappe aussi, c’est cette constante référence au nazisme, pour dénigrer un adversaire politique…
Vous avez raison, c’est assez agaçant, mais loin de moi l’idée de réhabiliter l’inspiration et le régime que l’Allemagne a connu pendant douze ans, et qu’elle a tenté d’imposer à tous ses voisins pendant six ans.
Cependant, soutenir qu’Adolf HITLER incarne à lui seul le Mal absolu, c’est au fond minimiser leur responsabilité et absoudre Joseph STALINE, Pol POT, et Vladimir POUTINE. C’est banaliser l’horreur ; c’est aussi atténuer et pervertir la nécessaire perception du fossé qui doit séparer le monde réel de l’abîme où peuvent nous entraîner les technologies du virtuel.
Alors, disons-le : seule une réactivation et une refonte des bases-mêmes de la démocratie parlementaire peut sauver l’Humain du XXIe siècle du sort des Mangeurs de lotus rencontrés par Ulysse, il y a plus de deux millénaires.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.