Chaque semaine sur euradio, Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, nous ouvre son bloc-notes pour partager ses idées sur les questions d’actualité, en Europe et au-delà.
Dans quelques jours, le 6 mai prochain, aura lieu le couronnement du roi Charles III, à l'abbaye de Westminster. Et cela vous intéresse, les fastes de la monarchie ?
Pas du tout. En tant que citoyen d’une République laïque, je partage plutôt le regard de Beaumarchais sur les aristocrates qui se sont donné « la peine de naître ».
Mais je goûte l'ironie qui se cache dans le détail que les Britanniques ont beau avoir quitté l'Europe, ils écouteront quand même l'hymne européen par excellence durant leur sacre national.
Ah bon ? Il y aura du Beethoven pendant la cérémonie ?
Pas que je sache. Ceci dit, je ne parle pas non plus de l’ « Ode à la Joie », hymne officiel de l'Union européenne, mais d’un morceau très différent qui est, depuis déjà 30 ans, incontournable dans les grands stades de football à travers le continent : l'hymne de la Ligue des Champions. Qu’on suive le football ou non, il est difficile d’ignorer ce chant qui est imposé à tous les matches et à tous les médias diffuseurs.
Ah, évidemment. Facile à reconnaître !
Musique ô combien majestueuse pour compétition suprême. En trois langues, d’ailleurs : français, allemand et anglais.
C’est au début des années 1990 que les consultants de l’agence TEAM marketing, chargé par l’UEFA d’inventer la marque la plus puissante du football business, ont commandité une sorte de générique grandiose à un musicien anglais du nom de Tony Britten. Et ce dernier s’est inspiré, et c’est peu de le dire, de la « coronation anthem » (aussi appelé « Zadok the Priest ») de Georges Frédéric Händel, créée en 1727 pour le couronnement du roi George II et joué aux couronnements de tous ses successeurs depuis. Comme celui d’Elizabeth II date de 70 ans déjà, je m’amuse déjà en anticipant – à moins que la liturgie ait été modifiée – que pas mal de sujet·tes de sa Majesté seront drôlement étonné, lors du sacre du 6 mai, de se faire rappeler la Ligue des Champions en pleine Cathédrale de Westminster.
C’est vrai que risque d’être une surprise pour plus d’un·e. Mais dites-moi, George Frédéric Händel, il n’était pas allemand ?
Si, de naissance. Mais en fait, c’était un vrai Européen. Déjà, la musique de son époque, le baroque, qu’il a marqué de son empreinte, est sans doute le plus européen des styles musicaux classiques, fait d’un brassage permanent et d’un enrichissement mutuel des différentes tendances nationales, de la Cour de Versailles à l’église Saint-Thomas de Leipzig, de Venise à la Tamise.
Né dans l’Est de l’Allemagne en 1685, Händel est parti en Italie à l’âge de 21 ans, afin d’y compléter, pendant près de quatre ans, sa formation de musicien et d’acquérir une renommée de virtuose.
Fin 1710, lors d’un séjour à Londres, il comprend que cette ville peut offrir une belle carrière à un compositeur/directeur d’opéra comme lui. Il s’y installera définitivement en 1712. Allemagne – Italie – Angleterre avant même ses trente ans, on dirait un footballeur d’aujourd’hui !
Décidément. Un vrai précurseur de la liberté de circulation.
Et de la liberté d’établissement et de prestation de services. Précurseur aussi d’un libéralisme social. À la fin de sa longue carrière d’entrepreneur musical, et malgré des hauts et des bas en fonction de l’évolution des goûts, Händel, désormais naturalisé britannique, a été un homme aisé. Si sa maison dans la Brook Street – achetée en 1727 – n’était pas un palais ostentatoire, il n’en avait pas moins accumulé une certaine fortune. Or, cette fortune, il la partageait avec un orphelinat récemment créé, le Foundling Hospital, et un fonds de solidarité pour vieux musiciens dans le besoin qu’il avait lancé lui-même.
Il est décédé en 1759, et il a été enterré, justement, dans l’Abbaye de Westminster où l’on jouera, une fois de plus, sa musique le 6 mai prochain.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.