Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
On dit couramment que l'Histoire ne se répète pas, mais qu'elle bafouille - mais ce n'est pas votre avis, Quentin Dickinson ...
Il y a un peu plus de deux mille quatre cents ans, la cité-État de SPARTE, aussi connue sous le nom de LACÉDÉMONE, était prospère, paisible, puissante. Cependant, à 200 kilomètres au nord-est, s'était méthodiquement édifié un autre centre de pouvoir : la ville d'ATHÈNES, haut-lieu intellectuel et politique brillant, réputé dans tout le bassin méditerranéen. Attachés à étendre davantage encore leur influence, les édiles athéniens multipliaient les incursions armées et les annexions de territoire de villes, alliées de SPARTE.
Agacés, vexés, les dirigeants lacédémoniens finirent par déclarer une guerre punitive aux insolents Athéniens - c'est vrai : pour qui se prenaient-ils ? Quand même pas pour une grande puissance militaire comme SPARTE ?
La suite est connue : la Guerre du Péloponnèse devait durer vingt-sept ans; elle se termine par la déroute prévisible des forces athéniennes.
La suite de la suite est également connue: aujourd'hui, admirée dans le monde entier, ATHÈNES est la capitale d'un État-membre de l'Union européenne et de l'OTAN, et SPARTE est une poussiéreuse sous-préfecture de 18.000 habitants.
Pourquoi nous rappeler cela aujourd'hui, Quentin Dickinson ?...
Le détail de la Guerre du Péloponnèse nous est parvenu principalement par l'œuvre d'un témoin privilégié de l'époque, un politique doublé d'un militaire, l'Athénien THUCYDIDE.
Outre une objectivité et une rigueur peu fréquentes dans la relation des faits, l'historien rappelle qu'ATHÈNES et SPARTE étaient précédemment alliées dans la guerre qu'elles ont menée victorieusement contre l'Empire perse.
En gros, SPARTE dirigeait les combats et ATHÈNES les finançait.
Mais THUCYDIDE décrit bien la montée de la méfiance chez les Lacédémoniens, percevant des intentions hostiles de la part des Athéniens, là où il n'y en avait guère, prenant la moindre déclaration athénienne comme une injure mortelle, et finissant par expliquer au peuple qu'ATHÈNES était coupable de tous leurs malheurs.
Et THUCYDIDE nous met en garde : une puissance dominante ne peut longtemps supporter la concurrence, réelle ou supposée, dit-il, et que, dès lors, le chemin de la guerre est inévitable.
Et on devine que, pour vous, Quentin Dickinson, cette leçon reste d'actualité ?...
Oui. Mais le tout, c'est de déterminer qui est aujourd'hui ATHÈNES et qui est SPARTE : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, ou l'inde, et qui sera le premier à nous précipiter dans ce piège millénaire ?
Mais vous me disiez vouloir rappeler ce matin un autre épisode de l'histoire de l'Europe ?...
Nous poussons le curseur de près de deux siècles. Le généralissime carthaginois, HANNIBAL BARCA, quitte ses terres en Afrique du Nord, en Tunisie actuelle. Balayant tout sur son passage, son armée remonte la péninsule ibérique, franchit les Pyrénées, se déploie en Gaule, vainc les Alpes, déboule en Italie.
Après la victoire sans appel sur les légions romaines sur les rives du Lac Trasimène, Hannibal finit par convaincre les édiles de la ville de CAPOUE, proche de la Baie de NAPLES, d'accueillir une partie de ses troupes, placée en réserve. L'historien TITE-LIVE nous laisse entrevoir les mille beautés de la ville et de ses habitantes, la douceur du climat et la qualité de son vin. « CAPOUE », écrit-il, « ville énervée par une longue prospérité, par les faveurs de la fortune, mais surtout par la licence du peuple qui, au milieu de la corruption générale, jouissait d'une liberté sans frein. »
Ici aussi, la suite est connue. Les soldats carthaginois et leurs chefs s'accoutumèrent à ce point aux délices de CAPOUE qu'ils s'avérèrent par la suite réfractaires ou incapables au combat.
Alors, ne forçons pas le trait - mais ce lointain épisode des Guerres puniques peut servir d'avertissement à nous autres, citoyens de l'Union européenne, prospères relativement à l'immense majorité de l'humanité, douillettement installés dans notre confort, alors que, chaque jour, d'autres Européens se battent et meurent à une heure et demie de vol de nous.
ATHÈNES, SPARTE, CAPOUE. Réfléchissons bien avant d'aller voter le 9 juin.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron