Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, vous nous dévoilez un aspect méconnu de l’action des Européens dans la crise au Proche-Orient…
C’est incontestablement un signe, discret mais révélateur, de ce que les états-majors militaires européens et américain tiennent pour vraisemblable. Depuis le 7 octobre, nuit des massacres commis en Israël par les terroristes du Hamas, l’inquiétude n’a cessé de croître quant à la sécurité des ressortissants étrangers, non pas seulement pris dans la nasse de Gaza, mais bien dans l’ensemble du Proche-Orient.
Il faut bien comprendre le contexte : pour les Israéliens, l’ouverture d’un deuxième front sous forme de confrontation avec le Hezbollah, autre organisation terroriste basée dans le sud du Liban, constitue un risque palpable ; de même, un soulèvement de la population palestinienne en Cisjordanie, en quelque sorte une nouvelle intifada toujours possible, viendrait compliquer davantage les missions des forces de défense israéliennes.
Mais
les risques d’extension du conflit ne s’arrêtent pas là ?
Certes non. La région au sens large héberge nombre de points de friction plus ou moins gelés, souvent vieux de trois-quarts de siècle, et qui, chacun, pourraient hâter un embrasement général.
Le malheureux Liban n’est pas en mesure de chasser le Hezbollah de son territoire, le voudrait-il ; la Syrie est l’obligée de la Russie, dont l’Iran est le nouvel allié (et fournisseur d’armes pour la guerre en Ukraine).
Tout désordre anti-occidental est évidemment dans l’intérêt du Kremlin, qui souffle sur les braises quand il n’assiste pas directement de ses conseils et moyens les acteurs locaux. La Jordanie est fragilisée par le grand nombre de camps de réfugiés palestiniens surpeuplés, dont certains datent de 1948. Prise géographiquement entre la Bande de Gaza et la Lybie, l’Égypte redoute d’être entraînée par l’opinion de la rue dans des querelles qui lui sont étrangères. L’Irak, dont on parle peu, vit une instabilité chronique, mal gérée par des dirigeants faibles que seule la présence militaire américaine empêche d’être balayés par la vindicte populaire. Et la Turquie, au président autocrate, sournois et manipulateur, se complaît dans le rôle du pompier-pyromane.
Et partout, des ressortissants étrangers, citoyens de l’Union européenne ou d’Amérique du Nord, courent le risque de se retrouver bloqués au cœur d’un conflit armé. Complication supplémentaire : un petit nombre d’entre eux sont fortement soupçonnés d’être militants ou sympathisants des cellules terroristes.
On comprend la nervosité des pays de l’OTAN – mais que font-ils concrètement ?
Ils chiffrent à plus de 100.000 personnes qu’il faudrait parvenir à évacuer si, au Proche-Orient, les choses tournent mal (ou encore plus mal, pour être précis).
Et, peu à peu, le dispositif se met en place.
Dès le 20 octobre, le Royaume-Uni et l’Allemagne, suivis par d’autres, ont fortement conseillé à leurs ressortissants de quitter le Liban, tant que c’est encore possible.
A Chypre, lieu évident de premier repli, un Centre international de Coordination des secours accueille à l’aéroport de LARNACA les officiers de liaison d’une vingtaine de pays, rejoints par des experts du Mécanisme de Protection civile de l’Union européenne.
La mise en œuvre du plan national d’urgence chypriote, baptisé Estia (‘foyer’ en grec), a déjà permis d’évacuer d’Israël plus de mille personnes.
…et les moyens militaires mobilisés sont déjà considérables ?
A commencer par ceux de la France, dont le porte-hélicoptères amphibie multitâches Tonnerre a appareillé de TOULON le 25 octobre. A bord, des moyens médicaux, dont deux salles d’opération, et une capacité d’emport de plusieurs milliers de personnes.
Les Britanniques disposent à Chypre de leurs deux bases militaires souveraines, AKROTIRI et DHEKELIA, renforcées récemment par deux navires de débarquement, l’Argus et le Lyme Bay.
L’Allemagne a dépêché sur zone la corvette Oldenburg et le ravitailleur-hôpital Frankfurt-am-Main ; la frégate Baden-Württemberg est en route.
Les Pays-Bas et le Canada ont acheminé à eux deux plus de 500 personnels militaires et quatre avions.
Ce dispositif augmente de jour en jour, et peut également compter en cas de besoin sur les très importants moyens des groupes navals des deux porte-avions américains dans le secteur, le Dwight Eisenhower et le Gerald R. Ford.
Conclusion des militaires : le pire n’est pas toujours certain, mais mieux vaut calculer large.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.