Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
L’hiver approche à grands pas, et chacun a en tête les pénuries de médicaments de base dans toute l’Europe au cours des deux années précédentes. Cela se répétera-t-il cette année encore ? Et quelles en sont les causes ?
Les causes sont multiples, et désormais bien identifiées. Le phénomène déclencheur aura, indirectement, été la pandémie de la COVID-19, ou, plus exactement, les longues périodes de confinement qui ont eu pour effet d’affaiblir la résistance immunitaire de chacun d’entre nous, puisque nous n’étions plus endurcis par la confrontation quotidienne à quantité de virus courants et aux variations de température entre l’intérieur des habitations et le grand air à l’extérieur.
Mais la pandémie, on l’imagine, n’est pas seule en cause ?...
Vous avez raison. D’abord, les maladies saisonnières, comme la grippe ou les virus respiratoires, ont débuté plus tôt que les années précédentes, marquées par des hivers plus doux ; ces affections se sont également révélées plus virulentes qu’à l’accoutumée. A cela se sont ajoutées des épidémies imprévues de streptocoque A chez les enfants. Il n’en a fallu pas plus pour que les fabricants de médicaments soient pris de court.
Mais ce n’est pas tout, QD…
En effet, car le retour de l’inflation et l’invasion russe de l’Ukraine ont aussi leur part de responsabilité, en ce qu’elles auront augmenté considérablement les coûts de production des médicaments et mis en difficulté des pans entiers de l’industrie pharmaceutique, pourtant d’ordinaire plutôt prospère.
Et a-t-on pu mesurer l’étendue du désastre au niveau européen ?...
Oui. Une association paneuropéenne des officines de pharmacie (donc, des détaillants) a sondé ses membres ; le quart d’entre eux constatent un manque chronique portant sur plus de 600 médicaments. Les régulateurs nationaux confirment : la pénurie va de 300 (en Belgique) à 3.000 médicaments (en Italie).
Et comment réagissent les différents pays européens ?...
Comme toujours, le premier réflexe, c’est de parer au plus pressé et de faire sa tambouille chacun pour soi. Il y a eu des interdictions d’exporter tel ou tel médicament, en conflit évident avec la logique du grand marché unique de l’UE ; et puis il y a eu des initiatives intéressantes, mais à portée limitée, telles la vente au nombre de pilules prescrites (et non par paquet), histoire de limiter le gaspillage, ou les bourses d’échanges de médicaments inutilisés, ou encore la fabrication par les pharmaciens de certains médicaments courants mais en forte demande, comme les antibiotiques, les antitussiques, le paracétamol pour enfants, ou les régulateurs de tension cardiaque.
Et l’Europe, dans tout ça, elle était aux abonnés absents ?...
Franchement, non. Il est vrai que la santé publique ne faisait pas partie des compétences traditionnelles de l’Union européenne – mais la COVID-19 est venue bousculer tout cela. Car chacun comprend qu’une mutualisation des stocks et des achats groupés permettent de faire face plus efficacement et pour moins cher.
L’Agence européenne des Médicaments voit donc son périmètre d’intervention élargi, et une Autorité européenne d’Anticipation et de Réaction en cas d’urgence sanitaire a vu le jour (curieusement baptisée HERA, comme la déesse romaine de la Femme – on ne voit pas vraiment le rapport).
Le calendrier est serré : il y a quinze jours, la Commission européenne s’est donnée jusqu’à la fin du mois pour mettre en place un mécanisme volontaire de solidarité entre pays-membres de l’UE ; pour la fin de l’année, elle aura publié la liste des médicaments critiques. En avril 2014, les chaînes d’approvisionnement seront définies. Des dérogations provisoires seront délivrées en tant que de besoin (par exemple, pour le prolongement de la durée de conservation d’un médicament). Et des campagnes d’achats en commun, au niveau européen, seront lancées, en particulier pour les antibiotiques et les produits destinés à combattre les virus respiratoires.
Vous voilà (un peu) rassuré, on l’espère ; mais sortez bien couvert quand même. La Commission européenne ne subventionnera pas votre chandail, votre bonnet, ni votre cache-nez, mais votre première ligne de défense contre les frimas et les vents coulis, ce sont eux.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.