Edith Le Cadre est directrice de recherche à l'institut agro. Une semaine sur deux sur euradio, elle décryptera les différents sens l'agroécologie et se demandera si cette dernière peut être une solution aux enjeux de notre époque.
Nous avons abordé dans nos précédentes chroniques les définitions de l’agroécologie, le rôle de la biodiversité, et discuté de la COP15. Aujourd’hui, nous aborderons l’angle particulier de la transition vers les systèmes agroécologiques.
En effet, il est important d’évoquer cette question de la transition.
On peut prendre en exemple la gestion de la ressource en eau, qui rend cruciale une mutation de nos systèmes agricoles. Un des problèmes des mégabassines censée préserver la ressource en eau pour des fins agricoles est l’absence de réflexion sur l’inflexion des modèles agricoles dans lesquelles ces bassines sont prévues
Pourquoi ?
Car elles sont planifiées pour permettre à des systèmes de production de continuer à exister sans remettre drastiquement la consommation en eau de ces modèles agricoles, même si des efforts ont été consentis, mais qui restent incrémentaux, et donc peu adaptées à la gestion commune de l’eau pour différents usages et pour les écosystèmes.
Mais qui dit mutation dit transformation ou rupture, c’est un changement drastique !
Est-ce bien réaliste pour nos agricultures ?
Mais nous n’avons pas le choix !
Il ne sert à rien de tenter d’adapter à la marge nos systèmes agricoles, car le diagnostic est posé depuis longtemps. Ils ne sont pas viables. Des scientifiques ont déjà estimé que nous sommes déjà sortis d’un espace sûr en termes d’habitabilité de notre planète.
L’agriculture a largement sa part de responsabilité, elle doit changer radicalement. Il ne faut pas se contenter de systèmes ayant uniquement des innovations incrémentales qu’on pourrait qualifier d’agroécologie conformiste qui est un ajustement à la marge des effets néfastes de l’agriculture productiviste et intensive.
Nous avons besoin d’une agroécologie transformative. Or, aujourd’hui dans les systèmes agricoles des pays développés, les systèmes de production et de transformation et plus largement les systèmes alimentaires sont intrinsèquement liés, il est donc injuste de faire porter la responsabilité et le risque de cette transformation ou mutation aux seuls agriculteurs et agricultrices. Il faut accompagner la transition vers cette agroécologie transformative
L’accompagnement est donc crucial pour réussir cette mutation ?
Oui, car la transformation des systèmes agricoles comporte des risques et des aversions au changement. Le système sociotechnique dominant est renforcé par le fait que les routines et les normes dans lesquelles les acteurs opèrent entravent leur capacité créative, et parce que les multiples dépendances entre les composantes techniques et sociales du système se sont renforcées au fil du temps.
Quelles sont les considérations à avoir en tête lorsqu’on parle de transition ?
Disons 4 considérations :
La première est que la transition est un processus complexe dont le pas de temps varie en fonction de l’échelle considérée : plus rapide à mettre en place sur une ferme qu’à l’échelle d’un système alimentaire par exemple.
Ensuite, je l’ai dit, mais je me répète, car ce point est important : la transition requiert un changement systémique. L’agroécologie est aux antipodes d’une vision prescriptive de solutions. C’est un ensemble de pratiques adaptées et adaptatives au contexte environnemental, économique, sociologique et politique. Le rôle de ces derniers est essentiel, car il peut influencer sur le régime dominant en fournissant des nouvelles réglementations.
La troisième considération est de favoriser les liens entre les innovations de niche avec celles du régime socio technique dominant. Les innovations de niche peuvent influencer le système dominant et créer de nouveaux marchés comme l’a été l’agriculture biologique à ses débuts. Il est donc essentiel d’identifier, d’évaluer et de comprendre comment les innovations peuvent être adoptées.
Par exemple, j’ai évoqué la génétique et l’amélioration des espèces végétales, mais j’aurai pu citer la robotique pour faciliter le désherbage mécanique car celui-ci offre des possibilités en termes de bannissement des pesticides mais dont le coût global d’adoption doit être pesé.
Enfin de garder en tête que les valeurs et les capacités des acteurs sont les moteurs du changement
Quel peut être le rôle d’espaces de débats entre les différents acteurs ?
Il est essentiel de préserver des zones de débats, car même si ceux-ci peuvent être au début difficiles, la construction d'une vision commune de l'avenir souhaité, même si personne ne peut prévoir exactement le système que le processus de transition va mettre en place, est une étape essentielle du processus. Ces espaces, où la transition est discutée, doivent être soutenus. L’objectif est d’avoir une vision démocratique des controverses à régler.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.