Mouvement social ou politique, discipline scientifique... l'agroécologie est décidément un terme que tout le monde connait, rejette ou revendique. Dans cette chronique, Edith Le Cadre-Barthélémy, professeure à l'Institut Agro Rennes Angers, décrypte, sur euradio, les différents sens de ce mot.
Aujourd’hui Edith Le Cadre, vous nous invitez à prendre de la hauteur et nous intéresser à l’importance du paysage en agroécologie. Pourquoi cela ?
Tout au long des différentes chroniques que nous avons fait ensemble Laurence, nous avons vu que l'agroécologie combine des concepts agronomiques et écologiques. Elle s'appuie sur l'amélioration de la biodiversité et des services écosystémiques connexes pour soutenir la production agricole.
Par conséquent, elle dépend des interactions biologiques pour la conception et la gestion des systèmes.
Or toutes les interactions écologiques ne se déroulent pas aux échelles de la parcelle ou infra parcellaires, certaines se déroulent à l’échelle du paysage.
Pouvez vous définir ce qu’est un paysage pour vous ?
Le paysage est défini comme une étendue spatiale observable et l’écologie du paysage s’intéresse aux dynamiques spatiales des écosystèmes présents dans cette étendue : sa complexité, les connectivités entre les écosystèmes.
L'intensification de l'agriculture a entraîné le déclin ou la disparition de nombreuses espèces dans les paysages agricoles, ce qui s'est traduit par des changements dans la structure des communautés, dans les interactions biologiques.
Les recherches sur la structure, la fragmentation des paysages et la connectivité entre les différents écosystèmes permettent de mieux comprendre comment l’agroécologie doit se décliner dans les différentes échelles spatiales et temporelles des territoires agricoles.
Pouvez vous nous donner quelques exemples Edith ?
Les fonctions écosystémiques c’est à dire le résultat des activités des organismes vivant dans un écosystème sont très dépendantes de la complexité et de la connectivité entre les écosystèmes. La pollinisation des cultures, la régulation des parasites et des maladies des cultures, mais aussi, la beauté des paysages, dépendent de processus se produisant à l'échelle du paysage.
L'attention politique et de recherche s'est progressivement déplacée vers la question de la redéfinition des paysages agricoles qui fourniraient des services à l'agriculture.
Cet objectif ne peut être atteint que par un effort concerté des écologistes, des agronomes et des spécialistes des sciences sociales, dans le but commun de concevoir des paysages agricoles durables et résilients
La régulation des maladies et des ravageurs des cultures sont des sujets très délicats en ce moment et opposent beaucoup de personnes, est ce que la redéfinition des paysages peut être une application ?
Les ravageurs peuvent être contenus par des mosaïques paysagères ou alors permettre de préserver la durabilité des résistances des cultures. L’importance des mosaïques paysagères dépend en fait du type de ravageurs ou de pathogènes. Pour des organismes généralistes, le paysage aura un effet important, tandis que pour les spécialistes inféodés à une espèces, le paysage aura moins d’importance. Je reviens donc à l’importance de la combinaison des différentes échelles spatiales : parcellaire et paysagère sur cet exemple précis.
Une meilleure compréhension de l'interaction entre les facteurs de gestion locaux et à l'échelle du paysage du biocontrôle, des pollinisateurs ou d'autres espèces est une condition préalable à la conception de paysages agroécologiques qui fonctionnent bien.
L'augmentation de l'hétérogénéité configurationnelle des cultures par la diminution de la taille moyenne des champs peut faciliter les débordements entre habitats, c'est-à-dire le déplacement des espèces entre les cultures et les éléments semi-naturels adjacents. Des travaux récents ont montré que la taille moyenne des champs contribue plus fortement à la diversité des insectes pollinisateurs et des plantes vasculaires dans les champs arables qu'une quantité croissante d'éléments semi-naturels.
Comment établir un paysage agroécologique quand plusieurs fermes sont présentes sur celui-ci ?
L'échelle de l'exploitation est un levier pour la mise en œuvre des principes agroécologiques, mais aussi un obstacle pour le développement d'une agriculture respectueuse de l'environnement à l'échelle du paysage.
En effet, les exploitations agricoles sont des unités juridiques/économiques louées/propriétées par l'agriculteur et composées de différentes unités foncières.
Les agriculteurs décident des pratiques de gestion, ce qui fait d'eux les principaux décideurs en matière de cultures, de leur disposition spatiale et temporelle dans le cadre d'une rotation des cultures ou d'une plantation pérenne.
Toutefois, les exploitations individuelles peuvent être mêlées à des parcelles appartenant à d'autres agriculteurs qui ne pratiquent pas l'agroécologie, ou à des terres qui n'ont pas de fonction agricole.
Ainsi, les agriculteurs individuels ont un espace d'action limité pour influencer les fonctions de l'écosystème à l'échelle du paysage.
Le dialogue entre les agriculteurs est donc essentiel.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.
Références : Jeanneret P, Aviron S, Alignier A, Lavigne C, Helfenstein J, Herzog F, Kay S, Petit S (2021) Agroecology landscapes. Landsc Ecol 36 (8):2235-2257. doi:10.1007/s10980-021-01248-0