Edith Le Cadre est directrice de recherche en agronomie à l'institut agro. Une semaine sur deux sur euradio, elle décrypte les différents sens l'agroécologie et se demande si cette dernière peut être une solution aux enjeux de notre époque.
Pourquoi intituler cette chronique « le nuage de mots de l’agroécologie » ?
J’ai choisi ce titre, car il existe de nombreux termes associés à l’agroécologie et bien souvent, on a l’impression d’une nébuleuse de concepts et de pratiques. Nous avons défini l’agroécologie comme une discipline scientifique, un mouvement social et un ensemble de pratiques. Si on s’intéresse à l’agroécologie comme pratiques, alors les principes théoriques de l’agroécologie peuvent être appliqués à toute forme d’agriculture par exemple conventionnelle en pratiquant l’agriculture de conservation ou à des petites surfaces comme en permaculture. Et entre les deux, on peut glisser l’agroforesterie qui par définition est l’introduction délibérée d’arbres dans des parcelles agricoles.
Et l’agriculture biologique ?
C’est une autre forme de pratiques agroécologiques qui excluent les intrants de synthèse comme les pesticides ou les engrais, mais n’exclue pas forcément le travail du sol pour lutter contre les adventices alors que ce dernier est par contre très peu pratiqué en agriculture de conservation.
Nous avons cité l’agriculture de conservation, la permaculture, l’agroforesterie, l’agriculture biologique, mais il existe également un autre terme : l’agriculture régénérative(1)qui fait l'objet d'une attention particulière de la part des producteur·rices, d’entreprises d’agrofourniture, des chercheur·ses et des consommateur·rices, ainsi que des hommes·femmes politiques et des grands médias
Oui, ce terme est plus récent. Il est apparu en 2017(2). Mais de mon point de vue, il n’est guère différenciant des principes de l’agroécologie que nous avons développés dans une de nos chroniques et que je ne rappellerai pas maintenant(2).
Dans l’agriculture régénérative, l’accent est mis sur la préservation de la santé biologique des sols, et le stockage de carbone grâce au retour à la fois de matière organique végétale ou animale et des pratiques de gestion du sol peu invasives. Certain·es utilisent d’ailleurs le terme de revitalisation du sol, permise par l’agriculture régénérative, donc une idée de restauration des sols dégradés.
En résumant, l’agriculture régénérative met en exergue une recherche de compromis entre la productivité élevée compatible avec les enjeux de sécurité alimentaire et la lutte contre le réchauffement climatique grâce au stockage du carbone dans les sols.
Est-ce vraiment différent de l’agroécologie ?
Oui et non. Non, car l’agriculture régénérative est essentiellement orientée vers la production, elle se démarque de l’agroécologie, car elle ne comporte pas les aspects de mouvement social et politique. Mais oui, car dans son esprit elle est proche des principes de production de la permaculture, mais à très grande échelle. Elle s’en distingue néanmoins, car la permaculture est plutôt associée à de petites surfaces comme en maraîchage où l’activité manuelle ne peut être envisagée par exemple.
Qui s’empare de ce terme à l’heure actuelle ?
Beaucoup de monde, les acteur·rices politiques pour leur permettre de mettre en place des plans climats et résilience, des entreprises du secteur privé pour différentes raisons, et des organisations à but non lucratif ou des collectifs d’agriculteurs ou d’agricultrices pour mettre en avant et transmettre des pratiques agricoles. Comme il n’existe pas encore à l’heure actuelle de certification en agriculture régénérative, il existe beaucoup de manières de concevoir, et de pratiquer l’agriculture régénérative. Il existe donc un risque d’une dérive de l’utilisation de ce terme, voire une utilisation abusive
Un exemple ?
Il existe un consensus pour dire que tous les sols n’ont pas la même capacité à stocker du carbone sous la forme de matière organique, donc si une pratique peut conduire dans une situation à augmenter la teneur en carbone, elle n’est peut-être pas régénérative sur un autre sol. Il est d’ailleurs assez intéressant de savoir que beaucoup d’articles scientifiques n’utilisent pas ce terme alors que les processus étudiés sont ceux cités par les chantres de l’agriculture régénérative.
Il était vraiment important de faire le point. Un dernier mot ?
Plutôt deux ! Je souhaite rappeler que la mise en œuvre de l’agroécologie repose sur une bonne connaissance écologique et agronomique des systèmes agricoles pouvant conduire jusqu’à la reconception des exploitations agricoles. Il faut comprendre comment fonctionne l’agriculture dans sa globalité avant de proposer de mettre en avant des pratiques.
Je voudrai également rappeler que de nombreux·ses philosophes des sciences dont Gaston Bachelard dans « la formation de l’esprit scientifique » ont mis en garde contre plusieurs obstacles épistémologiques. Un de ces obstacles est l’utilisation des images pour simplifier les théories ou concepts scientifiques. L’agroécologie n’est pas exemptée de cette introspection.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.
(1) Faire référence sur le site web à l’article : Newton et al. Front. Sustain. Food Syst., 26 October 2020
(2) Rhodes, C. J. (2017). The imperative for regenerative agriculture. Sci. Prog. 100, 80–129.