L'agroécologie, notre rapport à la nature

L'agroécologie au Sud  

@Paul Mocan / Unsplash L'agroécologie au Sud  
@Paul Mocan / Unsplash

Edith Le Cadre est directrice de recherche à l'institut agro. Une semaine sur deux sur euradio, elle décryptera les différents sens l'agroécologie et se demandera si cette dernière peut être une solution aux enjeux de notre époque.

Aujourd’hui Edith vous souhaiteriez nous présenter un article publié dans une revue scientifique qui présente des systèmes agricoles des Pays du Sud comme une agroécologie par défaut. Nous pouvons peut-être commencer par donner la définition du terme Pays du Sud ?

  • C’est une expression utilisée par certaines organisations officielles comme l’UNICEF ou la banque mondiale, mais aussi certaines organisations non gouvernementales. Ce terme se retrouve dans différentes langues comme « global South » pour une traduction anglophone.
  • C’est une définition à mon sens assez imprécise car elle regroupe des pays avec des PIB assez divers et très débattue par les géographes et spécialistes de géopolitique
  • Mais pour conclure, on peut parler de pays situés en Amérique du Sud, Afrique ou Asie ayant des niveaux de vie basés sur des critères économiques inférieurs et affectés par la globalisation

Pourquoi les auteurs de l’article dont les auditeur•rices pourront trouver la référence sur notre site euradio.fr, parlent d’une agroécologie par défaut pour ces pays ?

  • L’article se concentre sur les pays d’Afrique Sub saharienne. L’hypothèse de cet article est de présenter que la réduction des engrais minéraux de synthèse observée dans ces pays et pouvant être qualifiée d’approche agroécologique si elle est transposée à nos systèmes européens est erronée
  • Les auteurs prennent position par rapport à un débat opposant les défenseurs d’une approche agroécologiques basés sur les principes que j’ai présenté dans une de mes chroniques de la saison 1 mais que je rappelle brièvement ici : la biodiversité et l’utilisation de légumineuses, le recyclage de la matière organique et la préservation du fonctionnement des sols
  • Ces personnes prônent que ces approches permettent d’augmenter les rendements alors que leurs opposants évaluent que l’augmentation des rendements dans ces pays où la production agricole est insuffisante ne peut se faire sans ajout d’engrais minéraux de synthèse.
  • Les auteurs en s’appuyant sur un corpus de connaissances concluent que ce sont bien ces derniers qui auraient raison.

Quelles sont les raisons avancées par les auteurs de l’article ?

  • Les arguments des auteurs s’appuient sur la nutrition des cultures.
  • Le premier argument avance le terme d’agroécologie par défaut. Les auteurs présentent que les systèmes agricoles sub sahariens sont par défaut agroécologiques car ils utilisent peu d’engrais minéraux. Les engrais minéraux, si ils sont utilisés, sont combinés avec le recyclage de la matière organique mais ensemble ces apports ne suffisent pas à compenser les exportations par la récolte. Donc d’après les auteurs, il y a un risque de perte de fertilité des sols par un bilan minéral négatif des sols.
  • Les auteurs illustrent plus précisément en évoquant le cycle de l’azote. Ils estiment que l’efficacité du recyclage et de la fixation biologique de l’azote sont insuffisants pour couvrir les besoins des cultures. Ce point est important car l’azote est le principal élément absorbé par les cultures.
  • Enfin, ils évaluent que les besoins en phosphore et potassium sont également importants et non couverts pour assurer un rendement optimal

Au final quelle est leur conclusion ?

  • Leur conclusion est que l’ajout modéré et précis d’engrais minéraux serait bénéfique. Les auteurs plaident pour que les principes de réduction d’utilisation des engrais minéraux soient plus nuancés et surtout mieux combinés à d’autres leviers agroécologiques et à une meilleure connaissance des facteurs de production à l’échelle de la ferme et du paysage qui peuvent limiter le rendement.

Pourquoi est-ce que l’article fait débat ?

  • Cet article fait débat car l’intensification écologique des processus soutenant ces systèmes est insuffisamment détaillée. Les processus écologiques peuvent être optimisés. L’article ne souligne pas suffisamment ce point pour d’autres collègues avant de préconiser une utilisation d’engrais minéraux.
  • Par ailleurs, les engrais minéraux ont un coût financier pour des agriculteur•rices qui ont de faibles revenus. Les engrais de synthèse ont une forte empreinte environnementale de production et pour certains comme les engrais phosphatés et potassiques sont issus de carrières donc à durée limitée. Enfin, les engrais de synthèse doivent être acheminés et stockés dans des conditions adéquates de sécurité. Ce sont d’autres raisons de réfléchir avant de préconiser des engrais minéraux.

Quels sont vos conclusions ?

  • Je vous ai présenté un article scientifique qui synthétise des données issues d’autres articles, pour répondre à une hypothèse posée au préalable. Les auteurs discutent des résultats observés, et d’autres collègues peuvent enrichir le débat en proposant un autre point de vue d’interprétation en intégrant d’autres connaissances ou méthodes complémentaires d’interprétation des résultats. C’est le principe de la démarche scientifique qui est un processus sain mais complexe d’élaboration sérieuse des connaissances. En ce sens, les auteurs ont posé une question intéressante mais qui doit continuer à être débattue.
  • Si cet article est intéressant, il ne doit pas être le prétexte à une transposition dans nos conditions européennes car nos climats, nos sols sont extrêmement différents.

Merci Edith et rendez-vous à notre prochaine chronique pour continuer à décrypter l’agroécologie !

Référence article : Falconnier Gatien, Cardinael Rémi, Corbeels Marc, Baudron Frédéric, Chivenge Pauline, Couedel Antoine, Ripoche Aude, Affholder François, Naudin Krishna, Benaillon Emilie, Rusinamhodzi Léonard, Leroux Louise, Vanlauwe Bernard, Giller Ken E.. 2023. The input reduction principle of agroecology is wrong when it comes to mineral fertilizer use in sub-Saharan Africa. Outlook on Agriculture, 52 (3) : 311-326.