Miguel Silva est assistant académique au sein du département d’études politiques et de gouvernance européennes (POL) du Collège d’Europe. Originaire de Lisbonne, au Portugal, Miguel est diplômé en Études Européennes à l’Université de Passau (Allemagne) et en Études de Relations Internationales et Diplomatie, au Collège d’Europe. Il a écrit ses deux mémoires sur les relations entre l’UE et la Chine. Il a aussi travaillé à TEPSA (Trans European Policy Studies Association) et au SEAE (Service Européen d’Action Extérieur) sur des domaines comme la désinformation, la sécurité et défense.
Pourquoi entendons-nous parler de la Chine de plus en plus ?
Bon, premièrement, il est essentiel de parler de la Chine aujourd'hui parce que c'est le pays qui compte la deuxième population, la deuxième économie et la plus grande exportation au monde. En plus, la Chine occupe une place de premier plan dans les chaînes d'approvisionnement mondiales en énergie verte et les technologies les plus avancées.
Au-delà de l'aspect économique, il existe également des préoccupations générales concernant la tendance autoritaire croissante de la Chine, le système de surveillance de l'État, les violations des droits de l'homme et les tensions dans les relations entre la Chine et Taïwan.
Et alors, pourquoi est-ce que les relations UE - Chine sont importantes ?
Alors, d’un côté, la Chine est déjà le premier partenaire commercial de biens de l'UE, et l'UE est le premier partenaire commercial de la Chine. L'UE, dont l'économie est relativement stagnante, est très intéressée par l'accès à l’énorme marché intérieur chinois.
D'autre part, l'UE se plaint depuis des années de l'absence de conditions de concurrence équitables en Chine, de l'inégalité des conditions d'Investissement Direct à l’Étranger, de pratiques de dumping, entre autres choses... Ce sont précisément ces problèmes que l'Accord global sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine (AGI) a essayé de résoudre. Pourtant, trois mois après la réussite de l’accord politique en décembre 2020, l'UE a sanctionné la Chine pour la persécution massive des Ouïghours dans le Xinjiang. Le lendemain, la Chine a riposté en imposant des sanctions contre l’UE. Cet échange de sanctions a fait geler l’accord et on ne s'attend pas à ce qu'il dégèle de sitôt.
En même temps, le développement économique effréné de la Chine au cours des dernières décennies ne s'est pas traduit par une libéralisation sociale ou politique. Pour faire face à un gouvernement de plus en plus autoritaire et aux autres défis déjà mentionnés, l'UE a publié un document intitulé Une vision stratégique qui, en fonction du domaine en question, considère la Chine comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique.
Quel est l'état actuel des relations entre l'UE et la Chine et quels sont les principaux défis actuels ?
Après des années de stratégie diplomatique assez conflictuelle – souvent appelé la diplomatie du « loup guerrier » – et presque trois ans de mesures Covid-19 très strictes, la Chine a commencé à se rouvrir à l'UE, tout en essayant de lui mener une offensive de charme. Mais, élément important, la Chine voit l'UE à travers le prisme de la concurrence sino-américaine de plus en plus tendue. Elle tente donc d'inciter l’UE à s’éloigner des États-Unis afin d'obtenir un avantage concurrentiel sur Washington.
L'un des principaux points de discorde entre la Chine et l'UE est le fait que, depuis que la Russie a envahi l'Ukraine, la Chine a renforcé son « amitié sans limites » avec la Russie, tout en essayant de s'affirmer en tant qu'acteur géopolitique mondial comme médiateur de paix entre les deux parties du conflit. La critique de l'UE est que la Chine n'a jamais qualifié la Russie d'agresseur. Difficile alors de croire que Pékin puisse jouer un rôle de médiation crédible.
Quelles sont les implications de la relation de l'UE avec la Chine ?
Les implications sont nombreuses ! Dans ce monde interdépendant, il est de plus en plus difficile de se dissocier de la Chine et beaucoup se demandent donc si ce serait souhaitable ou même possible. Il semble y avoir un certain consensus autour d’une prise de conscience croissante des intérêts européens et des questions de sécurité dans certains secteurs stratégiques, sans pour autant entraîner une rupture de toutes les relations commerciales avec la Chine.
Cela dit, la visite conjointe des présidents Macron et von der Leyen en Chine à la mi-avril a montré une différence d'approche, M. Macron se montrant plus « colombe », prônant l'autonomie stratégique et ayant même remis en question le rôle de l'UE dans un conflit potentiel entre la Chine et Taïwan, tandis que Mme von der Leyen s'est clairement montrée plus préoccupée par la sécurité et a adopté un rôle globalement plus « faucon ».
Quelles sont les perspectives d'avenir des relations entre l'UE et la Chine ?
Il est clair que les relations entre l'UE et la Chine resteront complexes et difficiles. Il est également évident que la « vision stratégique » de 2019 n'est pas tout à fait adaptée à la complexité actuelle des relations. Elle était très difficile à mettre en œuvre parce qu'il fallait que les deux parties se renvoient la balle. Autrement dit, si l’une des parties applique des sanctions économiques en réponse à une critique politique, alors là ce sera difficile de maintenir la compartimentalisation entre les 3 volets.
L’UE est donc finalement en train de mettre à jour sa stratégie 2019 pour la Chine. De plus, la politique européenne vis-à-vis de la Chine est un sujet brûlant dans les agendas des pays membres. Le prochain sommet du Conseil européen, qui se tiendra en juin, inclura déjà la discussion de ce thème.
Pour résumer, il est très probable que la nouvelle stratégie inclue la doctrine du « de-risking » au lieu du « decoupling », assortie d'une prise de conscience accrue de l'autonomie de l'Europe en matière de sécurité. La question semble être donc de savoir si l'action de l'UE consistera à renforcer la sécurité au coup par coup ou si une approche plus globale de réduction des risques sera privilégiée.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.