Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion David Sassoli (2022-2023), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Alice Collin est étudiante en sciences politiques et en droit, spécialisée dans les affaires européennes.
A moins de 100 jours des élections européennes qui se dérouleront du 6 au 9 juin prochains, l’extrême droite semble consolider sa position. Alors que des gouvernements d'extrême droite sont déjà au pouvoir en Hongrie et en Italie, ce mouvement a récemment enregistré des résultats historiques aux Pays-Bas et au Portugal. Quelles sont les raisons qui expliquent une telle progression en Europe ?
On peut expliquer la progression des partis d’extrême droite en Europe par plusieurs éléments. En règle générale, ces partis saisissent les situations de crise comme levier. Or, ces dernières années, les crises ont été nombreuses : crise financière, crise sanitaire, crise migratoire, tout particulièrement.
En raison de la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, beaucoup d'Européens sont préoccupés par leur avenir. Alors que les partis politiques traditionnels ont du mal à proposer des solutions, les populistes offrent des réponses simples et désignent des responsables.
Par ailleurs, Fratelli d'Italia, l'AfD, le Vlaams Belang et les autres partis d'extrême droite européens partagent une vision commune du monde. Pour eux, l'immigration est considérée comme le problème majeur qui va à l'encontre de leur priorité, c’est-à-dire la défense des intérêts nationaux. Cette idéologie, souvent qualifiée de nationalisme ou de nativisme, plaide pour la primauté des citoyens nationaux sur les étrangers.
D’autre part, les partis d’extrême droite en Europe alimentent un sentiment de défiance envers les partis politiques établis. Leurs discours résonnent particulièrement dans un contexte où la démocratie représentative est en crise. Alors que l'abstention augmente et que la méfiance envers les personnalités politiques se renforce, ces partis parviennent à attirer une partie de l'électorat.
Enfin, ce qui fonctionne très bien actuellement pour l’extrême droite, c’est la dédiabolisation. C’est-à-dire que ces partis réussissent à redéfinir leur image en adoptant des discours plus modérés, tout en conservant les principes centraux de leur programme politique. Cela leurs permet de renforcer leur légitimité et leur respectabilité, ce qui aide à élargir leur base électorale.
Faut-il s’attendre à des coalitions entre les différents partis de droite après les prochaines élections ?
Actuellement, l’extrême droite n’est pas homogène au sein du Parlement européen. En effet, il y a d’un côté le groupe Identité et Démocratie (ID), plutôt pro russe, dont font notamment partie le Rassemblement national de Jordan Bardella ou La Ligue de Matteo Salvini. De l’autre, les Conservateurs Réformistes Européens (CRE), regroupent les eurodéputés de Fratelli d’Italia, de Vox ou du PiS, qui ont affiché leur soutien à l’Ukraine.
Giorgia Meloni voudrait un rapprochement avec le Parti populaire européen (PPE) et placer le CRE au centre de la politique européenne. Mais ce scénario se heurte aux exigences du PPE, à savoir que ses alliés soient résolument pro-européens et respectueux de l'État de droit.
De leur côté, Matteo Salvini et Marine Le Pen devront plutôt se tourner vers leurs partenaires traditionnels, notamment en Belgique ou en Autriche, mais aussi chercher de nouveaux alliés au Portugal, ou bien se tourner vers Viktor Orban.
Ce phénomène menace-t-il la stabilité au sein de l’Union européenne ?
L'extrême droite inquiète dans la mesure où, généralement, ses leaders s'opposent à la démocratie représentative et à ses institutions, en plus de remettre en question les droits et les libertés individuels.
Toutefois, il est courant que des politiciens qui tiennent des discours d’extrême droite pendant les campagnes électorales aient une tendance à modérer leurs positions une fois au pouvoir. C’est souvent lorsqu’ils sont au pouvoir qu’ils se rendent compte des limites de leurs discours.
Cela dit, il faut quand même considérer le risque sérieux que représente l’accession des partis d’extrême droite au pouvoir en Europe. L'exemple américain de l'administration Trump montre clairement les conséquences graves que cela peut avoir dans un délai relativement court, notamment en termes de géopolitique ou de relations internationales.
Il est clair qu'il existe un risque réel de détérioration des valeurs démocratiques. Je ne parle pas ici de l'émergence de dictatures, mais plutôt du développement des régimes illibéraux qui risque de peu à peu effacer nos valeurs. Sur ce point, le cas de la Hongrie et la Pologne ne sont pas de nature à nous rassurer.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.