Sanae Youbi est assistante académique du département d’études politiques et de gouvernance européennes (POL) du Collège d’Europe. Originaire de Brescia, en Italie, elle est diplômée en double Master de Sciences Po Bruxelles et de l’Institut d’Etudes Européennes, en Politique et réglementation de l'UE. Elle est spécialisée dans les politiques publiques européennes de la migration et des affaires intérieures, de l’emploi et des affaires sociales.
Giorgia Meloni a remporté un succès remarquable lors des élections italiennes dimanche – et est presque certaine de devenir Premier ministre. C'est une victoire massive pour les partis d'extrême droite en Europe.
Tout à fait ! Mais, contrairement à ce que certains disent, ce n'est pas seulement l'histoire de l'Italie faisant un virage soudain et brusque vers la droite. C'est plutôt le dernier produit d'une longue normalisation des partis d'extrême droite, en Italie comme dans des autres états membres européens, qui mérite d’être analysé à fond.
Les partis (et les idées) d'extrême droite font partie du courant politique européen depuis au moins deux décennies maintenant.
En revanche, ce que je voudrais souligner, c’est que ceci était quelque chose de prévisible. On l’a vu arriver ; c’est la tendance …
Et c’est inutile de se surprendre aujourd’hui. La vraie question sur laquelle il faudrait réfléchir, serait plutôt de savoir ce qui porte les citoyens en Europe à se tourner vers l’extrême droite, ou vers les partis populistes.
Mais comment expliquez-vous le succès incontestable de Meloni, avec un parti d’extrême droite qui a réussi à passer du 4% au 26% en quatre ans ?
Une grande partie de l'explication réside dans la faiblesse et surtout la fragmentation de l'opposition italienne.
Le Mouvement Cinq Étoiles a vu ses résultats chuter par rapport à il y a quatre ans, sanctionné suite à sa performance au gouvernement pendant la crise covid, et à des crises de leadership internes. Mais il a su limiter les pertes, avec 15% de voix, obtenues surtout au sud, grâce à l’introduction du revenu de citoyenneté en support aux plus fragiles.
C’est plutôt les démocrates de centre-gauche, avec seulement 19% de voix, qui après des années d'échecs et de promesses sur l’amélioration du niveau de vie de la classe ouvrière, ne sont simplement plus crédibles aux yeux des électeurs italiens. Ils ne sont d’ailleurs même pas parvenus à mobiliser les électeurs pour dresser un cordon sanitaire contre l’extrême droite.
L’alliance de droite a gagné politiquement car Meloni, Salvini et Berlusconi ont su se réunir et rester compacts, et ont profité d’une grosse déconnexion entre la classe dirigeante et la classe populaire à gauche, pour faire campagne électorale sur des thèmes qui touchent directement aux citoyens.
On peut donc penser que la gauche a permis à l’extrême droite de gagner. Les démocrates de centre gauche n’ont pas été attentifs aux droits sociaux, se focalisant seulement sur l’alarme démocratique qui se poserait avec l’extrême droite au gouvernement. Ils n’ont pas eu des idées originales et fortes, faisant une campagne électorale focalisée sur un seul argument, "votez-nous et pas Meloni".
Mais ils n’ont jamais eu une vraie confrontation sur des questions qui touchent vraiment les citoyens.
Pourtant, au final, les Italiens avaient juste demandé d’avoir des réponses claires à leurs problèmes au quotidien, comme l’augmentation effrayante des prix de l’énergie. Et l’extrême droite a su les écouter et leur faire des promesses...
Tout le monde à Bruxelles regarde avec anxiété ce qui va se passer ensuite. Faut-il s’attendre à des bouleversements au niveau européen ? Certains parlent du ‘retour du fascisme’ en Italie...
C’est normal d’être préoccupé ! il s’agit d’un séisme sur la scène européenne, l’Italie étant un des pays fondateurs du projet européen lancé dans l’immédiat après-guerre, aussi en réponse aux totalitarismes nazi et fasciste.
Et cette inquiétude n’est pas isolée d’ailleurs ! Ce résultat se rajoute à une tendance préoccupante pour l’UE, qui a également vu des victoires récentes de la droite en Suède et en Hongrie et des percées dans des pays comme la France.
Mais personne ne croit au retour du fascisme en Italie, malgré le passé contestable de Meloni. L’Italie est une démocratie mature.
Il y a un autre danger par contre, qui est le positionnement de l’Italie au niveau européen, sur des questions de valeurs, d’identité, et de la primauté des intérêts nationaux.
On peut donc craindre la répercussion politique qu’un gouvernement Meloni pourrait avoir au niveau européen, un gouvernement italien allié d’Orban pourrait être problématique pour Bruxelles.
Un gouvernement de droite radicale en Italie pourrait donc ouvrir la porte à des désaccords avec l'UE sur des questions d'état de droit, migration, les questions de genre et les sanctions contre la Russie.
Il ne faut cependant pas s’attendre à que l’Italie devienne la nouvelle Hongrie ou Pologne, il est par contre probable que l'atmosphère politique dans l'UE deviendra plus tendue.
L’extrême droite pourrait d’ailleurs aussi poser des limites aux réflexions actuelles qui voudraient donner une nouvelle impulsion à la construction européenne, suggérant l'extension de ses compétences et le renforcement des institutions communautaires.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet