Marie Ketterlin est assistante académique au Collège d’Europe, au sein du département d’Études politiques et de gouvernance européenne. Elle a étudié à Sciences Po Strasbourg et à l’Université Lumière Lyon 2. Elle est l’autrice de plusieurs articles d’analyse de la politique états-unienne pour Maze.
Comment lire ces résultats ?
Il faut bien noter que ces résultats restent toujours provisoires. Dans la nuit du 9 au 10 novembre, le Sénat comptait 48 élu.e.s démocrates, contre 49 républicains. Certains résultats restent en suspens pour l’instant (comme l’État de Géorgie par-ex, pour lequel il faudra attendre le 6 décembre).
Du côté de la chambre, 189 démocrates sont élu.e.s, contre 207 républicains, pour une majorité de 218. Encore une fois, il faudra attendre plusieurs jours pour voir des résultats définitifs se dessiner. Ce que l’on peut dire, c’est que les démocrates se positionnent mieux au Sénat qu’à la Chambre. Ils ne contrôleront certainement plus l’ensemble du Congrès, mais ils peuvent encore conserver le Sénat. Et puis, la « vague rouge » annoncée par les républicains n’a pas eu lieu.
Au-delà de ces chiffres, finalement, il s’agit avant tout d’élections d’un organe législatif fédéral, puisque des membres de la Chambre des représentants et des Sénatrices et Sénateurs ont été élu.e.s. Quelle portée sur la politique étrangère des États-Unis et quel impact possible sur la relation transatlantique ?
Pour mieux visualiser les enjeux Laurence je vais très rapidement revenir au système institutionnel états-unien et plus précisément à la Constitution.
Si l’on se réfère à la Constitution, le Congrès doit « réglementer le commerce avec les nations étrangères », « déclarer la guerre », « constituer et soutenir des armées ». Deux des pouvoirs du président en matière d'affaires étrangères - la conclusion de traités et la nomination de diplomates – sont également soumis à l'approbation du Sénat. Le Congrès dispose d’un rôle de surveillance et de validation de l’affectation du budget (y compris aux branches militaires et diplomatiques du gouvernement, qui généralement attirent plus de la moitié du budget fédéral chaque année). On voit donc clairement l’importance de ce scrutin pour les partenaires des États-Unis, puisque les partenariats commerciaux, militaires, diplomatiques peuvent être touchés.
Dans quel état les relations transatlantiques étaient-elles jusqu’à aujourd’hui ?
L’élection de Joe Biden en 2020 a suscité à la fois enthousiasme et espoir chez les européens, et plus particulièrement chez les atlantistes, de voir le partenariat transatlantique relancé après 4 ans de froid. Cependant, avec l’Inflation reduction act, les États-Unis cherchent à subventionner certaines filières de leur économie touchées par la guerre en Ukraine, réunissant tous les ingrédients pour une dispute commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne.
Finalement, des tendances souterraines inaugurées par la présidence Trump subsistent. Les deux côtés de l’Atlantique veulent être des « géants économiques », et les deux pôles peuvent donc rapidement passer de « partenaires » à « rivaux ». Ce qui tranche radicalement depuis l’arrivée de Biden au pouvoir, c’est la volonté politique de trouver un arrangement et de maintenir le dialogue diplomatique. Une task force spéciale pour régler le différend commercial a été mise en place. Nous verrons à la suite de la prochaine réunion du Trade and Technology Council prévue le 6 décembre prochain, si ce dossier progresse.
Évidemment, au-delà des questions commerciales, les priorités de ceux que certains appellent le « bloc occidental » ou « l’alliance transatlantique » sont avant tout sécuritaires. Quelles possibles évolutions dans les prochains mois pouvons-nous attendre à ce stade ?
La seule chose que je peux faire à ce stade Laurence c’est esquisser les tendances qui peuvent affecter certains gros dossiers internationaux cruciaux pour la relation transatlantique à la suite de ces élections. Il est toutefois plus facile de se prononcer sur certains dossiers que d’autres.
Une tendance globale peut être dessinée : la sécurité et le hard power de l’Union Européenne reposent sur les États-Unis et sur l’alliance transatlantique par le biais de l’OTAN. La question de l’« autonomie stratégique » a été formulée maintenant depuis plusieurs années mais les 27 sont loin d’avoir une vision unifiée sur ce dossier. Si les États-Unis souhaitent effectuer une réorientation de leurs forces pour suivre leur « pivot stratégique vers l’Asie », ils ont tout intérêt à se reposer sur une Union Européenne forte sur le plan militaire. Cependant cette question illustre toute l’ambiguïté de la position états-unienne sur la question car une partie du leadership du Pentagone estime qu’il est crucial que les États-Unis demeurent indispensables dans l’architecture sécuritaire de l’Europe, pour garder la main si l’on peut dire.
En ce qui concerne plus précisément le dossier Ukrainien, le soutien financier des États-Unis pourrait ne plus être « automatique », ou du moins, pas dans les mêmes proportions. Les républicains pourraient utiliser le dossier ukrainien comme levier pour influencer d’autres dossiers domestiques – je pense notamment au dossier du droit à l’avortement, par-exemple. Un vrai retour au jeu politicien, donc. Jusqu’ici, le dossier ukrainien a quand même, il faut le préciser, été un cas plutôt consensuel, soutenu de manière bipartisane. Et si le Congrès bloquait l’envoi d’aide financière à l’Ukraine, Biden pourrait toujours utiliser d’autres ressources – comme le budget du Pentagone, par-exemple – pour continuer de soutenir l’Ukraine.
Et en ce qui concerne la puissance chinoise ?
Il est probable qu’un repositionnement états-unien se dessine dans les prochains mois. Joe Biden est sorti de l’« ambiguïté stratégique » entretenue jusque-là en déclarant que les États-Unis soutiendraient Taiwan en cas d’agression chinoise. Le dossier est pris très au sérieux par Washington et pourra, potentiellement, être l’objet d’une action ferme bipartisane au Congrès. Pour revenir à la relation transatlantique, un repositionnement des États-Unis dans l’Indo-Pacifique nécessiterait tout d’abord une plus grande implication des européen·nes sur leur propre continent, mais également le déploiement d’un « front occidental uni » entre les « Like-minded partners » (partenaires partageant les mêmes idées) face à la Chine.
Enfin, j’aimerais citer deux dossiers qui vont très certainement souffrir d’un changement de majorité à la Chambre des représentant.e.s : le dossier iranien et la lutte contre le changement climatique.
Très brièvement : le dossier iranien n’avance plus depuis deux mois, les négociations diplomatiques sont bloquées depuis le début du mois de septembre et le contexte domestique en Iran n’aide pas. Plus globalement, le dossier iranien est polarisant, et très impopulaire auprès des Républicains qui ne sont pas partisans de la tenue de négociations avec le régime.
En ce qui concerne le dossier climatique, il s’agit également d’un dossier très polarisant, et ce même au sein de la famille politique des démocrates. Le combat contre le réchauffement climatique implique de penser la décarbonisation des économies, et les élu.e.s d’États producteurs de ressources fossiles, démocrates ou républicains, n’ont pas intérêt à défendre des mesures de transition écologique. Les États-Unis risquent donc d’être un partenaire peu dynamique, voire carrément de mauvaise foi, en ce qui concerne les questions climatiques et environnementales pour les prochaines années.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.