Marianne Lamérand est une étudiante française au Collège d’Europe de Bruges, en master d’Études politiques et gouvernance européennes. Elle est précédemment diplômée d’un master en Droit et Administration Publique à Sciences Po Strasbourg. Son parcours universitaire a toujours été l’occasion pour elle de se tourner vers l’Union européenne, que ce soit dans ses thématiques de recherche (analyse comparée des systèmes éducatifs franco-finlandais) ou dans des formations à l’étranger (à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich en Allemagne et l’Université d’Helsinki en Finlande).
Nous avons célébré le 22 janvier dernier un événement majeur pour l’Union européenne et son projet de paix : le 60e anniversaire du Traité de l’Élysée. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est ce traité ?
Le 22 janvier 1963, Konrad Adenauer et Charles de Gaulle signent le traité bilatéral que l’on appellera Traité de l’Élysée du fait du lieu de sa signature.
Les mots du Président français furent les suivants : « Il n’y a pas un homme dans le monde qui ne mesure l’importance capitale de cet acte, et non pas seulement parce qu’il tourne la page après une si longue et si sanglante histoire de lutte et de combats », ce à quoi le Chancelier de l’Allemagne de l’Ouest a répondu « vous avez exprimé avec tant de justesse les sentiments de tous ceux qui, du côté français comme du côté allemand, ont travaillé à cette œuvre, que je n’ai rien à ajouter. »
Ce traité est donc central pour les relations entre les deux voisins, définissant le cadre d’une coopération franco-allemande en ce qui concerne les Relations Internationales, la défense et l’éducation.
En plus de cela, on est en pleine lancée de la construction européenne : 12 ans plus tôt, les pays du Benelux, l’Italie, la France et l’Allemagne de l’Ouest s’étaient accordés sur la Communauté Économique du Charbon et de l’Acier, qui empêchait les ennemis ancestraux d’entrer de nouveau en conflit en créant une interdépendance sur les matériaux qui constituaient le nerf de la guerre. Une succession de traités est signée, et l’Allemagne de l’Ouest comme la France se retrouvent toujours au centre de ces négociations.
Le traité de l’Élysée représente donc la consécration d’une nouvelle relation d’amitié entre les deux voisins, sur fond d’intégration européenne.
Comment ce traité a-t-il fait évoluer les relations entre les chefs d’État et de gouvernement au fil des années ?
Chaque « couple » de dirigeants a apporté sa pierre à l’édifice, que ce soit dans le cadre du traité ou par des événements symboliques.
À Verdun, le 24 septembre 1984, Helmut Kohl et François Mitterrand ont participé à une grande cérémonie à la mémoire des victimes de la Première Guerre Mondiale. C’est l’occasion de la fameuse poignée de main entre les deux dirigeants qui restera perçue comme le signe d’une réelle complicité en ce moment historique.
À Caen, le 6 juin 2004, pour le 60e anniversaire du débarquement allié en Normandie, un chancelier allemand, à l’époque Gerhard Schröder, est invité pour la première fois. Schröder et Chirac marquent à nouveau l’histoire par leur accolade qui paraît cette fois-ci bien moins rigide que celle partagée par De Gaulle et Adenauer en 1963, illustrant bien l’évolution des relations entre les deux voisins.
Plus récemment, le couple Merkel-Sarkozy a évidemment marqué les esprits.
Mais cette évolution va dans les deux sens ; les dirigeants ont eux aussi approfondi le traité. Le 40e anniversaire a vu l’établissement d’un Conseil des ministres franco-allemand biannuel, et un programme commun de formation des cadres de la fonction publique. Pour les 50 ans du traité, dépassant le cadre des deux chefs d’État et de gouvernement, le Bundestag et l’Assemblée nationale tiennent une séance commune à Berlin. Cette séance annonce la future création de l’Assemblée parlementaire franco-allemande en 2019.
Tout cela concerne les institutions qui gouvernent les deux pays uniquement. En pratique, comment le Traité réussit-il à rapprocher les citoyens ?
Très rapidement, le but affiché a été de rapprocher les nations autant que les instances dirigeantes. En 1963, au moment de la signature, l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, l’OFAJ, est créé. Il a pour mission d’encourager les relations entre les jeunes des deux pays, de renforcer leur compréhension et ainsi de faire évoluer les représentations du pays voisin. L’OFAJ soutien les projets de jeunes Français et de jeunes allemands qui peuvent prendre plein de formes différentes : des échanges scolaires et universitaires, des cours de langues, des jumelages entre les villes et les régions, des rencontres sportives et culturelles, ou bien encore des stages et échanges professionnels.
Les 40 ans du traité ont également été l’occasion de déclarer le 22 janvier comme Journée Franco-Allemande. Le slogan de ce 22 janvier 2023, qui est l’occasion dans les écoles, surtout, d’organiser des activités pour faire apprendre aux jeunes l’histoire de l’amitié entre les deux voisins, était le suivant : « France et Allemagne – Unies pour la paix ».
Comment envisager le futur des relations franco-allemandes, dans ce contexte ?
Le 22 janvier 2019, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont signé le successeur du traité de l’Élysée – le Traité d’Aix-la-Chapelle. Ses propositions et objectifs sont ambitieux, et résonnent particulièrement fort dans le contexte de la guerre en Ukraine aujourd’hui : plus de coopération et d’intégration au sein de l’UE, vers un renforcement de la capacité d’action militaire de l’Europe, et la possibilité pour l’Allemagne de siéger au Conseil de sécurité de l’ONU. Entre les deux pays, particulièrement, il s’agit de renforcer la coopération transfrontalière, mais pas seulement ; le traité d’Aix-la-Chapelle prévoit une plus grande coopération en matière d’enseignement, d’environnement et d’économie.
Les cérémonies et rencontres prévues en 2023 sont également l’occasion pour le couple Macron-Scholz de resserrer les rangs après des mois de relations tendues sur les sujets de défense et d’énergie et peut-être, à leur tour, de marquer l’histoire des relations franco-allemandes.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.