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Le sentiment géographique, un grand effet

Le sentiment géographique, un grand effet

Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !

Vous nous parlez d’une petite exposition mais qui vous a fait un grand effet au Musée d’arts de Nantes, racontez-nous.

Il est quelquefois des petites expositions qui vous font beaucoup d’effet. C’est le cas pour « Le sentiment géographique », une vingtaine d’œuvres d’artistes du 20ème siècle et du grand ouest, rassemblés autour de leur goût de Nantes et de ses environs. Le sentiment géographique, c’est l’appréhension subjective d’un paysage naturel ou urbain signifiant pour vous.

Et ces artistes nés à Nantes, aux Moutiers en Retz, à la Baule, à Vitré, à Saint Brieuc, à Rennes, à Vannes mais aussi à Paris ou au Nebraska, se sont attaché•es à la ville de Nantes, restituant des architectures perdues depuis, comme « Le pont transbordeur, quai de la Fosse à Nantes » dessiné à l’encre de Chine par Jules Grandjouan, ou l’ancien marché aux poissons sur l’île Feydeau traité sur un mode baroque coloré par Jacques Philippe ou encore le port de Nantes en activité esquissé au fusain et à la craie blanche par René Pinard. « Les usines », peintes en 1902 par Jean Emile Laboureur, est une vue de Chantenay-sur-Loire, rappelant le passé industriel de ce faubourg complètement intégré à Nantes aujourd’hui.

Il y a l’architecture, mais aussi la couleur.

Certain•es s’attachent aux couleurs, comme « Le Grand bleu de Nantes » daté de 1981, de François Dufrêne, constitué d’affiches lacérées prélevées dans la ville. Ou encore le tableau « Ocre Violet Loire », faisant partie de la merveilleuse série des « Loires » de l’artiste Olivier Debré, qui y intègre sable et feuilles du fleuve pour mieux le matérialiser. On peut de nouveau admirer son rideau monumental à la Comédie Française à Paris, raccroché après 3 ans de restauration. Il avait été commandé en 1985 par Jack Lang.

Les couleurs de la Loire semblent avoir touché également l’artiste américaine Sheila Hicks, qui invitée à Nantes en 1973, crée « Les lianes nantaises », sculpture faite d’écheveaux de lin, laine, raphia synthétique, coton et soie, suspendue au plafond. Vous pouvez voir actuellement des œuvres textiles de Sheila Hicks, du côté d’Annecy, au Château de Menthon, jusqu’au 29 octobre.

C’est la couleur aussi que Geneviève Asse décline dans son « Diptyque-Atlantique », mais celle de la lumière de son Morbihan natal et du bleu des vagues. Deux aplats de bleus entourés par deux bandes blanc-bleutées. Il y a même une teinte qui porte son nom, le bleu « Asse ». Il faudra attendre 2026 pour admirer un ensemble conséquent d’œuvres de Geneviève Asse, décédée en 2021, au futur musée des Beaux-arts de Vannes, sa ville natale.

On pourrait aussi évoquer « Le sel violet de la mer », œuvre de Guy Bigot peinte en 1958.

Vous avez retenu plus spécifiquement deux œuvres.

Ce serait outrecuidant de ma part de parler de préférence alors que chacune des œuvres exposées est absolument de grande qualité mais peut-être certaines œuvres font davantage écho à des souvenirs personnels ou à mon propre imaginaire.

Ainsi une petite huile sur toile, intitulée « Les filets bleus », de 1949, des aplats, gris pour le ciel, noir pour la mer, beige pour la jetée et gris blanc pour le sable, ponctués de verticales, pour un phare, pour des piquets en bois et des horizontales pour les filets d’un bleu vif accrochés aux piquets, vivifiant l’ensemble. C’est une économie de moyens, c’est élégant, c’est léger. L’artiste s’appelle André Lenormand, dit Len, né en 1901 et décédé en 1992. On pense à « Adrienne pêcheuse » de 1919 de Pierre Roy, conservée au Musée d’arts de Nantes.

Il y a aussi la gouache sur papier intitulée « Le chemin de fer de la Bernerie », achetée en 1952 à l’artiste Jean Bruneau. C’est un paysage de marais animé par le passage d’un train à vapeur au loin, qui acheminait les voyageurs nantais en bord de mer dès 1875. Les verts et ocres sont secoués par les algues blanches échevelées signifiant les arbres, par la vapeur grise du train et les nuages sombres s’accumulant, on renifle l’océan à deux pas. C’est une petite merveille. Jean Bruneau sera l’illustrateur de plusieurs albums consacrés à l’histoire de Nantes et à ses personnages illustres, dont Jules Verne.

Pour terminer, outre l’intérêt plastique de ces expositions d’artistes dits régionaux, c’est qu’on apprend, grâce aux cartels, plein de choses sur leurs parcours individuels et le territoire. Mais aussi sur le paysage artistique, les galeries d’art mythiques, disparues depuis, les regroupements d’artistes comme le groupe régional indépendant de Nantes créé en 1934.

Une petite exposition sensible et intelligente. Merci au musée d’Arts de Nantes pour ce beau moment.

A voir : Le sentiment géographique au musée d’Arts de Nantes jusqu’au 7 janvier 2024.

Entretien réalisé par Laurence Aubron