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Enfiler des perles à l'italienne

Enfiler des perles à l'italienne

Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !

Vous rentrez d’Italie, celle du centre et ne résistez pas à l’envie de nous parler de vos découvertes. Racontez-nous !

Un petit road trip italien et printanier depuis Rome dans la région des Marches et de l’Ombrie pour enfiler encore quelques perles sur la parure du bel paese. Première étape Tivoli et ses Villas à 30 kms à l’est de la capitale. Objectif : la Villa d’Este, du nom de son fondateur Ippolito II d’Este, fils de Lucrezia Borgia et de Alfonso d’Este, né en 1509 et décédé en 1572. Et là coup de cœur pour cet ensemble magnifique composé par la Villa et le jardin, exemple unique de jardin italien du XVIème siècle, l’un des premiers « giardini delle meraviglie », (jardin des merveilles).

Aidé par l’architecte Pirro Ligorio, dont ce fut le chef d’œuvre, Ippolito, cardinal et gouverneur de Tivoli, voulait une agréable résidence bucolique pour y entretenir ses précieuses relations romaines, lui qui aspirait à devenir pape. Il ne le fut pas. Mais grâce à son testament, la Villa d’Este sera enrichie par ses héritiers cardinaux de la maison d’Este. Puis les Habsbourg. Et en 1918, l’Etat italien en deviendra propriétaire. L’Unesco, depuis 2001, la protège de la voracité des promoteurs grâce à une zone tampon. Tivoli est donc un écrin de verdure, qu’on quitte au nord par une immense cascade.

En quoi cette Villa est-elle unique ?

Le palais lui-même d’abord, en travertin, une roche calcaire blanche, avec ses salons richement décorés des sols aux plafonds de fresques racontant la fondation de Tivoli qui se pique d’être plus ancienne que sa colossale rivale, Rome. Mais aussi des épisodes de la mythologie, comme celle d’Hercule et ses douze travaux, accueilli par les dieux. Et le top, le jardin tout en pentes et en terrasses dessiné selon un axe longitudinal central traversé par cinq axes principaux reliant les fontaines entre elles. Toute une organisation hydraulique inspirée des Romain·es antiques permettait jets d’eaux et autres fantaisies aquatiques.

Par exemple, la Fontaine la Rometta, reproduit en miniature quelques importants monuments de la Rome antique tandis que la Fontana del bicchierone, la fontaine du grand verre (à boire), dessinée par Le Bernin, un siècle plus tard, surgit comme un immense coquillage. Devant le Cento fontane, les cent fontaines dont l’eau coule depuis la gueule de lions, de singes, et autres animaux, alignées sur cent mètres, nous nous promenons à l’instar de ces élégantes nobles dames corsetées de robes de velours, coiffées de voiles brodés et ces messieurs en chausses et pourpoints de soie, sauf que pour nous, touristes, quelque 473 ans plus tard, c’est en tee-shirts, en jeans et en baskets que nous déambulons !

Alors fermons les yeux et écoutons l’eau bruisser dans ces bassins d’ornements, au milieu des sculptures, des fausses grottes, des allées de buis et des cyprès centenaires. Une pure merveille.

Et quels sont vos autres coups de cœur ?

En vrac, la piazza del popolo à Ascoli Piceno bordée de ses cafés sous les arcades, comme le Meletti, grand beau café, qui produit sa propre anisette ; ou celle d’Offida, ou encore celle de Fermo, avec leur particularisme médiéval. Ou la piazza Leopardi à Recanati du nom de l’écrivain Giacomo Leopardi, qui y mourait d’ennui et dont il s’enfuit pour exister à Rome.

Le savoir-vivre à l’italienne, c’est la piazza de caractère, bordée de bâtiments, centre de la vie publique, accueillante, où déguster un café ou un apéritif, alcoolisé ou pas, toujours généreux, servi avec force amuse-bouche maison, comme les « olive ascolane », olives farcies à la viande.

A visiter aussi Urbino, la patrie de Rafaello Sanzio, dit Raphaël en français, tout en briques, juchée sur son promontoire, dominant la vallée, son impressionnant bâtiment du palazzo ducal et ses collections. À la question mais où sont les peintures de Raphaël, la gardienne me répond "Mais dans le monde entier, Signora !" Je précise "mais à Urbino ?" "Il y en a deux, petites, mais bellissime !"

Dans un autre genre que l’art ou l’architecture, vous avez fait une rencontre insolite ?

À Urbania, à quelques kilomètres de Urbino, à la Chiesa dei morti, l’église des morts, édifiée en 1380. A peine entrés, nous tombons nez-à-nez avec les corps momifiés (sous vitrines) de 18 personnes ayant vécu il y a quelques siècles. Heureusement le guide, enfant du pays, formidable conteur, redonne vie et … mort à ces compagnons en nous racontant ce qui leur est arrivé, un accident de charrette, une césarienne, un coup de couteau, … Horrible, celui de l’homme en mort apparente, enterré dans son linceul, qui s’est réveillé et a voulu repousser la terre qui le recouvrait. Objets de nombreuses recherches scientifiques, ces dépouilles sont en effet incroyablement bien conservées, grâce à la momification naturelle due à un champignon spécifique de la région.

Et pour terminer avec ce road trip italien ?

Il faudrait encore parler de Perugia, Pérouse et son extraordinaire Galleria nazionale dell’Umbria, rénovée avec une attention particulière et à la scénographie très soignée des peintures et retables religieux de toute beauté, dès la moitié du XIIIème siècle. Sans parler de la superbe exposition « Il meglio maestro d’Italia. Perugino nel suo tempo », dédiée à Pietro di Cristoforo Vannucci, dit Le Pérugin, natif de Città della Pieve à quelques 40 km de Pérouse, et dont le Musée d’arts de Nantes possède une très belle œuvre : Saint Antoine et Saint Sébastien, daté vers 1475. On se régale vraiment pendant quelques heures.

Hélas, les contemporain·es ne jouissent pas de la même attention. Avant de quitter l’Italie, un hommage s’imposait à Pier Paolo Pasolini, écrivain, journaliste, réalisateur engagé, assassiné à Ostie en 1975, une exécution politique pour certain·es. À la recherche du parc baptisé pompeusement Parchiletterari, parcs littéraires, au bout d’une banlieue triste jonchée de cadavres de voitures brûlées et de dépôts d’ordures, nous nous arrêtons devant une pauvre grille : quelques pierres gravées de citations de Pasolini et un monument en béton brut de Mario Rosati portant une colombe de la paix, abandonné pendant 20 ans, restauré en 2016. Puis de nouveau laissé à l’abandon. Nous y laissons quelques fleurs des champs.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.