Patricia Solini nous partage sur euradio sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous souhaitez aujourd’hui nous inciter à regarder et écouter le dernier opéra composé par la compositrice finlandaise Kaija (prononcer kaya) Saariaho sur un livret de sa compatriote, la romancière Sofi Oksanen et intitulé « Innocence ». Pourquoi ?
Je ne suis en aucune façon familière de l’opéra ni de la musique contemporaine mais j’ai été complètement subjuguée par celui-ci, découvert par hasard, veuillez excuser mon ignorance crasse en la matière, et qui m’a absolument bouleversée. Que ce soit la musique et les chœurs, le jeu des interprètes, la mise en scène et l’histoire qui se complexifie au fur et à mesure comme un thriller jusqu’à la restitution filmée, l’ensemble est remarquable. Créé en 2021 au Festival d’Aix-en-Provence, cet opéra a obtenu le prix « compositeur » des Victoires de la musique classique en 2022.
C’est grâce à un dimanche pluvieux où à la suite de la lecture d’un article citant Kaija Saariaho, une compositrice finlandaise contemporaine, je m’immergeais sur You Tube dans « Innocence » cet opéra en cinq actes et d’une durée de 1h45.
Que raconte cet opéra ?
Il s’agit hélas d’une tragédie récurrente qui se dévoilera peu à peu. Pour l’heure c’est la fête, on célèbre un mariage finlandais d’aujourd’hui, à la mode cosmopolite, la mariée est roumaine, la belle-mère française, elle s’appelle Patricia. C’est la serveuse tchèque qui nous met la puce à l’oreille lorsqu’elle découvre avec effroi qui est la famille en liesse. Même si les parents du marié semblent avoir un lourd secret qu’ils n’ont pas dévoilé à leur bru. 10 ans auparavant une tragédie a eu lieu où tous les protagonistes ont leur part. Et morts et survivants et vivants tout court combinent leurs chants pour nous restituer ce qui s’est passé.
Je n’en dirais pas plus pour ne pas divulgâcher le récit. Cependant on pourrait dire que No one is innocent, du nom d’un groupe de rock. Chacun porte en soi une culpabilité sinon une responsabilité qui se révèle dans les témoignages et les souvenirs de tous. Ça fait froid dans le dos, le monde n’est pas binaire, les victimes et les coupables, et cela résonne évidemment encore aujourd’hui.
Que pouvez-vous nous apprendre de la mise en scène ?
C’est l’australien Simon Stone qui en est l’auteur. Le dispositif scénique est un immense cube à un étage, représentant différents espaces ouverts à la lumière crue, salle de banquet, cuisine, placard, toilettes, salle de classe et tourne sur lui-même au fil du récit. Les personnages évoluent d’un espace à l’autre qui se transforme sans discontinuité. Ce fut sans aucun doute un travail de titan à fluidifier les décors réalistes, les éclairages de nuit et de jour et les déplacements des treize solistes. Treize comme les disciples de la Cène de l’Évangile, l’ultime peinte par Léonard de Vinci dont s’est inspirée la compositrice.
Et quant à la musique de Kaija Saariaho ? Que pouvez-vous nous en dire ?
La partition de Kaija Saariaho est conçue pour un grand orchestre de 80 musiciens, c’est le London Symphony Orchestra qui l’interprète. La version multilingue tirée du livret original en finnois est réalisée par Aleksi Barrière, fils de la compositrice. Ce sont 9 langues qui sont chantées avec l’anglais langue unificatrice, comme le finnois, le français, l’allemand, le tchèque, le roumain, le suédois, l’espagnol et le grec. Les interprètes jouent de la tessiture de leur voix, ainsi la jeune Marketa dans les aigus comme une chanteuse folklorique, la professeure elle allonge les notes, l’étudiante française siffle ses mots. Tout est musique et c’est extraordinaire.
Et qui est Kaija Saariaho ?
Hélas la compositrice est décédée à l’âge précoce de 70 ans en juin dernier à Paris. Elle était née en octobre 1952 à Helsinki. Si elle pratiquait le violon, le piano et l’orgue dès l’âge de six ans, elle a étudié les arts visuels et s’est ensuite consacrée à la composition à l’Académie Sibelius (grand compositeur finlandais, 1865- 1957) où elle obtient son diplôme en 1980. Elle s’intéresse à l’informatique musicale à l’IRCAM à Paris où elle s’est installée en 1982. L’IRCAM, c’est l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique, associé au Centre Pompidou. Elle s’intéresse à la musique spectrale, c’est-à-dire expérimenter et déconstruire le son. C’est la recherche des possibilités infinies de la voix, de l’instrument ou de l’orchestre.
Kaija Saariaho a composé ses quatre premiers opéras sur des livrets écrits par Amin Malouf, l’écrivain franco-libanais. Pour son cinquième opéra, elle s’adresse à Sofi Oksanen. Quatre ans de travail avec la romancière. Ce fut hélas son dernier opéra. Un chef d’œuvre.
À regarder et à écouter donc sur You tube : Innocence de Kaija Saariaho, sinon à écouter seulement sur France Musique