Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous souhaitez partager votre enthousiasme pour la peinture de Gilles Aillaud vue au Centre Georges Pompidou, que vous intitulez la non-Vie des animaux ?
Rappelez-vous cette série documentaire animalière à l’ORTF, « La vie des animaux » créée par Frédéric Rossif avec son générique dessiné déroulant des animaux stylisés en blanc et gris sur fond noir : tête de hibou, tatous courant entre les pattes de marabouts, un léopard et des hululements sur une musique exotique. On y voyait des animaux sauvages dans la faune africaine, des familles de lions, des troupeaux d’éléphants, des girafes, des gazelles, …
L’artiste lui nous donne à voir les mêmes animaux mais prélevés depuis leur milieu naturel, isolés et encagés dans des environnements artificiels faits de fer et de béton par l’homme, pour l’homme et qu’on appelle des zoos, d’où mon titre : la non-Vie des animaux.
J’ai revisité avec une immense joie cette œuvre subtile aux grandes qualités plastiques, poétiques et politiques que le musée des Beaux-arts de Rennes avait présentée en 2015. C’était alors la première grande rétrospective consacrée à Gilles Aillaud depuis son décès en 2005 à l’âge de 77 ans. L’idée étant de redonner sa juste place dans l’histoire de l’art à cet artiste de génie, dont l’œuvre est plus que jamais d’actualité.
Il ne s’agit donc pas uniquement d’un peintre animalier ? Qui est Gilles Aillaud ?
Donnons-lui la parole : « Lorsque je représente des animaux toujours enfermés ou déplacés ce n’est pas directement la condition humaine que je peins. L’homme n’est pas dans la cage sous la forme du singe, mais le singe a été mis dans la cage par l’homme. C’est l’ambiguïté de cette relation qui m’occupe et l’étrangeté des lieux où s’opère cette séquestration silencieuse et impunie. Il me semble que c’est un peu le sort que la pensée fait subir à la pensée dans notre civilisation… »
On est dans les années soixante, les mouvements contestataires, Mai 1968, les guerres du Vietnam, d’Algérie, des Six jours, la famine au Biafra. Mais aussi la censure et le contrôle exercé par l’Etat dans le domaine des arts, notamment.Gilles Aillaud est un « Animal politique », titre de l’exposition de Beaubourg et assigne à la peinture le plus haut des rôles, celui du « dévoilement historique de la vérité ».
Il est l’un des artistes de la « Figuration narrative » avec Eduardo Arroyo, Antonio Reccalcati, Hervé Télémaque, Bernard Rancillac, Jacques Monory, Valerio Adami, Peter Klasen ou Gérard Fromanger. On se sert des images de l’époque, publicité, cinéma, photographie pour créer en peinture ses propres images, réalistes ou fantastiques, porteuses de sens métaphorique. Contre Marcel Duchamp et ses ready-made, contre l’abstraction comme unique modernité, contre l’art contemporain américain et son idéologie capitaliste et impérialiste.
Quelles sont donc les images peintes de Gilles Aillaud ?
On est accueilli à l’entrée de l’exposition par une tête de phoque rigolard dans son bassin, fermé par un mur de parpaings et une porte close, le tout décliné dans des tonalités vertes. Intérieur vert, 1964, c’est une huile sur toile carrée de 2 mètres de côté, peinte à l’occasion du Salon de la Jeune peinture pour tourner en dérision la couleur fétiche des peintres paysagistes. Le recours à une iconographie animalière deviendra alors exclusif pour Gilles Aillaud.
Ensuite une série d’alcôves dotées d’un banc pour un face-à-face troublant. Derrière une grille métallique bleue, deux lions sont allongés sur deux rebords étroits accrochés à des murs vides bleutés et au sol douteux. Il n’y a rien d’autre que cet enfermement désolé et désolant. Intérieur et hippopotame, de 1970, c’est une cellule de grilles et de murs peints en gris peinant à contenir un hippopotame de profil abandonné dans son enclos. À côté Ils sont deux, les rhinocéros, de part et d’autre d’une grille bleuâtre toujours dans un espace artificiel grisâtre où n’apparaît aucun semblant de vie. Le cadrage de la peinture Elephant et clous de 1970, ne montre que la rangée de clous bordant la fosse empêchant l’éléphant d’avancer, on ne voit que ses pattes et sa trompe aspirant une botte d’herbe sèche. L’animal n’a plus aucune identité. Un autre rhinocéros d’une tristesse infinie est planté sur une espèce de palier, dans un espace décrépit. Aucun des animaux ne nous regarde.
Les points de vue voulus par l’artiste sont implacables. Il colle le nez du spectateur directement contre les barreaux rouillés ou la vitre sale. Le zoo c’est un monde en réduction, mais celui-ci donne à voir la vérité sans fioriture, l’enfermement, la contrainte, l’abandon, l’isolement, voire la torture. Mais avec quelle maestria !
Il y aussi la merveilleuse « Encyclopédie de tous les animaux, y compris les minéraux », initiée en 1988 ainsi que les peintures apaisées des grands animaux chez eux lors du voyage de l’artiste au Kenya.
À voir jusqu’au 26 février, Gilles Aillaud, Animal politique au Centre Pompidou à Paris