Patricia Solini nous partage sur euradio sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous rentrez des Hauts de France et souhaitez partager la rencontre avec Fanny Bouyagui que vous surnommez la grande prêtresse de l’IA (l’intelligence artificielle) et ses dernières productions plastiques présentées au musée la Piscine à Roubaix.
Fanny Bouyagui, artiste plasticienne, est en soi un personnage haut en couleurs. Non seulement par ses ascendances sénégalaises, mais surtout par sa curiosité insatiable et sa créativité touche-à-touche. Après un CAP de couture et des études aux beaux-arts de Tourcoing, elle fonde sa propre tribu, sa famille artistique sous le nom de Art point M en 1991.
Accompagnée de Thierry, Sébastien et Sabine, le noyau dur de Art Point M, Fanny Bouyagui imagine des installations multi media, des parades, des banquets, des défilés de mode qui décoiffent, des spectacles performatifs, mais aussi le Name Festival dédié à la culture électro, la Braderie de l’art autour du design de récupération ou encore le Lille Tattoo Festival, de renommée internationale.
Vous l’avez compris, Art point M, c’est le mixage des underground des années 90 et des cultures urbaines.
Et la dernière passion de Fanny Bouyagui, c’est le dialogue avec l’IA, l’intelligence artificielle.
De quoi s’agit-il ? Comment se traduit ce dialogue avec l’IA ? Racontez-nous
Il s’agit pour l’artiste d’inventer des figures en dictant ses souhaits à un programme. C’est du côté de la silicone vallée de Tel Aviv que ça se passe pour elle avec de puissants logiciels générateurs d’images à partir du langage. Mais dit-elle il faut apprendre à ruser avec les pudeurs de la machine. Exemple : pour obtenir l’image d’une femme avec de gros seins, terme hautement tabou aujourd’hui, Fanny demandait une mère allaitant son enfant, puis gommait l’enfant. L’artiste a obtenu ainsi une cinquantaine de figures corrigées via photoshop formant le panthéon de ses mythologies personnelles.
Curieusement si certaines figures androgynes déformées sont d’inspiration plutôt Science Fiction, des visages de femmes naissent de facture classique mais avec un je ne sais quoi de brumeux, d’évaporé, de fantomatique. Ces visages-là précisément ont été proposés par l’IA comme réponses à la demande « femmes battues ».
Et que fait Fanny Bouyagui de ces images, de ces personnages hybrides ?
Le titre de son exposition, c’est IA – TERRA. L’image numérique se matérialise au contact de la terre et plus précisément de la céramique. Après des productions du côté du grès et de la matière brute, Fanny Bouyagui s’applique à des productions tout en finesse. Les images traitées s’impriment sur des fragments de céramique créés par l’artiste.
Et certaines des divinités ayant pour nom Férolia, Cyanthia, Mélanchorus ou Nayeli s’animent via un QR code, et en vidéo vous chuchotent des histoires de signes, de planètes mutiques, de corps-paysages… Elles sont troublantes ces figures qui nous parlent venues des tréfonds d’un ailleurs artificiel.
Vous vouliez nous signaler d’autres expositions à ne pas rater à la Piscine de Roubaix.
Comme me disait Fanny Bouyagui, Chagall c’est bien aussi ! Effectivement l’exposition « Le cri de liberté, Chagall politique » est passionnante. Artiste toujours idéaliste et humaniste engagé malgré les événements tragiques qui composent sa vie comme l’antisémitisme, l’exil, les guerres, la Shoah. Ses pinceaux et ses toiles sont ses armes de paix, bienvenues en ces temps horribles où l’histoire semble hoqueter.
On découvre aussi les œuvres attachantes de Georges Arditi, père des acteurs Pierre et Catherine Arditi mais moins connu qu’eux. Superbes les gouaches de 1953, Les Oiseaux et les Bateaux, projets pour des tapisseries commandées par l’État pour être réalisées à la Manufacture nationale des Gobelins.
De même est réjouissante l’exposition « Sur la route des Flandres » dédiée à Claude Simon, peintre et écrivain Prix Nobel de littérature en 1985. Mention spéciale pour ses collages.
Et quel régal toujours, ce musée de la Piscine de Roubaix tout entier, créé en 1835 comme Musée industriel de Roubaix et ouvert depuis 2001 dans l’ancienne piscine Art déco. « Construire un musée solidaire », c’était le projet de l’architecte Jean Paul Philippon, c’est-à-dire tourné vers la vie sociale et économique. Au cœur du musée, le plan d’eau de 40 mètres de long, bordé de sculptures et des anciennes cabines de bain en carreaux jaune paille, les mosaïques à décor marin, les vitraux d’époque flamboyant symbolisant le soleil couchant et le soleil levant. Et une riche collection de peintures, un fonds superbe d’échantillonnages de tissus, des céramiques, du design et l’histoire de Roubaix.
Donc précipitez-vous avant le 7 janvier 2024, pour découvrir Fanny Bouyagui, Chagall, Georges Arditi, Claude Simon et tant d’autres au musée La piscine de Roubaix.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.