C’est du côté de la Fondation Vuitton à Paris et de l’exposition Marc Rothko dont vous souhaitez nous parler
Connaissez-vous la Fondation Vuitton à Paris, ce vaisseau de verre et de béton toutes voiles dehors, ancré près du Jardin d’acclimatation dans le bois de Boulogne à Paris ? Conçu par l’architecte américain Frank Gehry (Prononcer Gueri), celui du musée Guggenheim à Bilbao et ouvert depuis 2014, on peut y voir de magnifiques expositions grâce à des moyens financiers dont ne disposent malheureusement pas nos institutions publiques.
C’est l’exposition sobrement intitulée « Mark Rothko » qui m’a aspirée, et dont je suis sortie épuisée de tant d’œuvres (115) et de vibrations mais aussi du nombre de visiteurs malgré une gestion des flux en amont. C’est toujours trop, on rêve de solitude et de rien entre soi et le tableau, pour mieux s’immerger et s’abîmer dans la contemplation. D’autant plus que la peinture de Marc Rothko exige une proximité et le silence dans cette semi-obscurité voulue par l’artiste qui revendique la lumière surgissant de la toile elle-même au-delà de la couleur.
Qu’avez-vous retenu de cette immersion dans la peinture de Marc Rothko ?
D’abord il s’agit de la première rétrospective depuis 1999 de cet artiste né Marcus Rotkovitch dans l’Empire de Russie en 1903, émigré aux Etats-Unis à l’âge de 10 ans et naturalisé américain en 1938 prenant ensuite le nom de Marc Rotkho. C’est toujours curieux quand on connaît un artiste par l’œuvre abstraite qui a fait sa réputation de découvrir qu’il a aussi peint des nus, des intérieurs, des gens dans le métro, des espèces de monstres mythologiques voire surréalistes. Il lui a fallu vingt ans depuis ses peintures figuratives jusqu’aux Multiformes des années 1945-1949 et les œuvres abstraites identifiant l’artiste dans les années 50.
Evidemment c’est cette période qui m’éblouit. De vastes champs colorés de formats importants, souvent verticaux. Il s’agit souvent de deux à trois formes rectangulaires aux bords indéfinis dont la couleur irradie. La peinture est fluide et semble légère mais sa densité et son opacité sont telles que le regard plonge dans un infini atmosphérique qui lui donne une dimension hautement spirituelle, éloignée de la matérialité de la peinture.
Selon l’expression actuelle, c’est une expérience. Mais une vraie, celle-là. Le spectateur s’immerge dans un bain de lumière colorée et connaît « cet état d’intimité » voulu par l’artiste, « cette transaction immédiate », dit-il « quand les grands formats vous prennent en eux ». Les œuvres sont titrées par numéro, ou par leurs couleurs comme « Vert sur Bleu, Vert gris et Blanc », « Rose et Blanc sur Rouge », « Bleu, Jaune, Vert sur Rouge ». Puis les titres disparaîtront pour ne laisser aucun obstacle « entre le peintre et l’idée » entre « l’idée et le spectateur ».
Peintre de la lumière et de la violence, dîtes-vous, alors que vous parlez de silence et de contemplation ?
C’est une pièce de théâtre qui m’a fait comprendre que la peinture de Rothko n’était en rien sereine ni apaisante même si les gammes chromatiques de gris et de noir des dernières années laissaient présager le pire. Marc Rothko s’est suicidé en 1970.
« Red» c’est le titre de cette pièce de John Logan adaptée en français et jouée par le magnifique comédien Niels Arestrup dans le rôle de Rothko accompagné de Alexis Moncorgé, dans le rôle de l’assistant jeune artiste. C’était en 2019 au Théâtre Montparnasse. La scène se passe en 1958 et 1959. Le restaurant « Four Seasons » situé dans le Seagram building conçu par l’architecte Mies Van der Rohe à New York a commandé une série de toiles à l’artiste. C’est alors un huis clos expressif entre la peinture et cet enragé d’artiste, le métier d’artiste et la nécessité de la création. À grands coups de brosse recouvrant de rouge sang liquide une toile de grand format, les deux hommes dialoguent éclaboussés et passionnés. Oui il s’agissait bien de violence. D’ailleurs Rothko écrivait lui-même : « à ceux qui pensent que mes peintures sont sereines, j’aimerais dire que j’ai emprisonné la violence la plus absolue dans chaque centimètre carré de leur surface. »
Cette pièce de John Logan créée en 2009 en témoigne fidèlement.
Cette première série de l’artiste nommée « Seagram Murals » n’arriva jamais sur les murs du restaurant à la suite du refus de l’artiste considérant le lieu inapproprié pour sa peinture. Il fit don de neuf de ces toiles à la Tate, musée d’art moderne de Londres qui réalisa un espace dédié en collaboration avec Rothko.
En résumé une exposition sensuelle et profonde, qui se termine par un émouvant rapprochement entre les sculptures effilées de Giacometti et les dernières toiles noires et grises (1969-1970) de Rothko.
A voir Marc Rothko à la Fondation Vuitton à Paris jusqu’au 2 avril 2024.