Patricia Solini nous partage sur euradio sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
C’est du Musée d’art moderne de la Ville de Paris que vous nous rapportez vos impressions de la rétrospective consacrée à Nicolas de Staël. Racontez-nous
Tout d’abord, je ne manque jamais de visiter le MAM lors d’un passage à Paris. Situé en vis-à-vis du Palais de Tokyo, son architecture art déco abrite la deuxième grande collection française riche de 15000 œuvres, de 1900 à aujourd’hui. Il y a toujours quelque chose à y voir, depuis les grands chefs d’œuvre comme la danse de Matisse ou le salon de la fée électricité de Raoul Dufy à des ensembles remarquables. Et de toujours passionnantes expositions temporaires. Cette fois, c’est Nicolas de Staël qui m’a attirée. Quoique dans un premier temps, j’ai hésité, je voyais bien, les marines bleues, les paysages simplifiés, mais comme l’écrit l’excellent directeur du musée Fabrice Hergott, « on se dit que l’on connaît, avant de croire connaître, puis de se rendre compte que l’on ne connaît pas ».
Et comme la dernière rétrospective de Nicolas de Staël a eu lieu il y a 20 ans au Centre Georges Pompidou, il ne valait mieux pas reporter cette visite qui se révéla formidable.
Une exposition conséquente malgré une carrière précocement arrêtée, me semble-t-il par le suicide de l’artiste ?
C’est un immense portrait en pied et en noir et blanc de l’artiste, magnifique, grand, beau, élégant, œuvre de la photographe Denise Colomb qui nous accueille. Il eut une vie fulgurante et brève, Nicolas de Staël, il se jettera du haut du toit-terrasse de son atelier à Antibes en mars 1955, il a alors 40 ans, mais travailleur acharné, le peintre a réalisé plus de mille toiles en 15 ans ainsi que des collages et des dessins.
Quelque 200 œuvres dont un tiers jamais montré en France, issu de collections particulières retracent son parcours. C’est toujours intéressant de lire la provenance des œuvres, ainsi j’ai découvert la donation Pierre et Kathleen Granville faite au musée des Beaux-arts de Dijon en 1969. La Phillips Collection à Washington a aussi prêté quelques formats comme la Fondation Gandur pour l’art à Genève.
Donc une rétrospective déployée sur 15 ans et que montre-t-elle ?
Des portraits au fusain du visage émacié de sa première compagne, des illustrations de poèmes de René Char, des lettres manuscrites, des compositions, de délicieux paysages de tout petit format sur carton, des grandes huiles sur toile, la Sicile flamboyante, des marines et des natures mortes, des ciels, des nus, des figures assises, des bocaux, un saladier rempli d’une salade verte croquante. Et des murs à ses débuts.
La matière épaisse à base de mélange d’huile et de blanc de zinc travaillée au couteau bâtit alors la toile comme une maçonnerie, sous la forme de tesselles dont l’artiste s’est inspiré après avoir vu une exposition sur l‘art byzantin et ses mosaïques. À force de recherches et avec la maturité, sa peinture s’allègera au profit de la fluidité et de l’épure.
Comme pour nombre d’artistes, sa palette s’enflammera sous la lumière du Sud, en Provence où il renouera avec le petit format de ses « paysages de marche ». La Sicile c’est un feu d’artifice où les cieux verdissent ou rougissent et les terres sont jaunes, roses ou aubergine. C’est aussi le moment de la passion avec sa dernière compagne avant la fin tragique.
La peinture est terriblement sensuelle. Même s’il peint sur le motif, elle est toujours un écho différé de la réalité. « On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu. » écrit-il en 1950.
Pourtant c’est sa vie quotidienne qu’il peint, son intimité, son émerveillement devant le monde qu’il digère pour mieux lui rendre hommage enrichi par sa connaissance de l’histoire de l’art. Nicolas de Staël a eu une vie incroyablement mouvementée et menée dans l’urgence de vivre et de peindre avec une ambition énorme.
Qu’a vécu Nicolas de Staël pour vivre dans cette urgence ?
Selon les morts de sa première fille Anne : « Mon père, rien ne lui a permis de se reposer. Il avait une conscience de tout. C’est éreintant. Je crois que cela est dû à cette origine, cette vie de quelqu’un qui perd tout et qui reste seul au monde. Il s’est construit sur quelque chose de très dur. Il n’avait vraiment plus rien, ni langue, ni parents. »
En effet né Baron Nikolaï Vladimirovitch Staël von Holstein en 1914 à Saint Pétersbourg, sa famille fuit la révolution de 1917, ses deux parents décèdent le laissant orphelin à l’âge de huit ans. Il sera adopté par une famille bourgeoise de Bruxelles et se tournera vers la peinture après des études d’ingénieur. Voyages, déplacements incessants et rencontres artistiques et amoureuses attiseront cette soif inextinguible.
À voir Nicolas de Staël, jusqu’au 21 janvier 2024 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris puis à la fondation Hermitage de Lausanne du 9 février au 9 juin 2024.