Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Ça s’est passé au Théâtre National de Bretagne à Rennes, elle s’appelle Laure Catherin et performe l’expression d’une génération selon vos mots, racontez-nous
Ambiance underground dès la descente dans le sous-sol du TNB, direction salle Guy Parigot qui compte 120 places, elle est pleine, plateau nu, avec un musicien, Raphaël Mars, debout devant un ordinateur et quelques percussions, un micro sur pied, trois spots au sol et une énorme enceinte. Le dispositif est sobre. Et une jeune femme toute fine à la longue chevelure frisottante et dense, dont le visage est intemporel, elle pourrait incarner une jeune bourgeoise corsetée du 19ème siècle comme une passionaria du front populaire. Ça tombe bien, elle est comédienne et s’appelle Laure Catherin. Elle est aussi autrice et nous interprète son texte « Howl2122 » écrit à la suite de la pandémie qui nous a tous surpris, interloqués, sidérés et nous a tous impactés à des degrés divers, selon les générations et les classes sociales. Ici ce sont des étudiants et étudiantes des universités dont nous parle Laure Catherin et c’est puissant et bouleversant.
Il s’agit donc d’une performance live et musicale, et qu’est-ce qui a inspiré ce texte Howl 2122 ?
Entre rap et slam, Laure Catherin campée devant son micro, déclame avec force, sa poésie dont le titre fait évidemment référence au long poème homonyme d’Allen Ginsberg, « Howl », qui signifie Hurlement, écrit en 1956, une des œuvres majeures de la Beat Generation américaine. « Howl » de Ginsberg c’est d’abord un cri de douleur poussé par le poète : « J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés hystériques nus". C’est aussi une revendication enfiévrée de toutes les formes de libertés dans une Amérique pudibonde, largement raciste et homophobe. Cela lui vaudra un procès pour obscénité. On trouve sur Internet la lecture rythmée à voix haute par Ginsberg lui-même en langue originale.
« Howl2122 », c’est le texte écrit comme un pendant au « Howl » de Ginsberg, qui s’intéresse à la jeunesse universitaire d’aujourd’hui et de l’expérience vécue pendant plus d’un an pendant et après la pandémie due au Covid 19. Il est aussi inspiré du texte « De la Démocratie en Pandémie » de la philosophe Barbara Stiegler, publié en janvier 2021. C’est aussi un manifeste qui pointe le démantèlement des systèmes de santé comme facteur aggravant d’une pandémie qui menace la culture démocratique.
Et donc qu’avez-vous appris de nouveau à l’écoute de ce texte de Laure Catherin ?
Eh bien si ce n’est quelque chose de nouveau, ce fut en tout cas une prise de conscience véritable de la vie des étudiantes et étudiants universitaires eux-mêmes, à rebours des paroles ou des pensées qu’on peut avoir quand on est éloigné du terrain depuis très longtemps ou que l’on n’y a jamais mis les pieds. Comme une certaine vision fantasmée de la vie universitaire, son insouciance, sa liberté, sa douceur de vivre très éloignée d’une réalité de la position des universités d’aujourd’hui au sein de notre société, déchues et abandonnées des pouvoirs publics attachés à la rentabilité.
Une précarité mise à mal encore plus par les confinements, déconfinements, reconfinements, provoquant une souffrance encore plus grande chez les étudiants abandonnés privés de tout.
Grâce à un travail d’immersion et de récolte de témoignages des étudiantes et étudiants ainsi qu’une attention portée à leur paysage sonore et à celui du campus, Laure Catherin nous fait comprendre la douleur de la privation, de la solitude et de l’enfermement qui les a fortement impactés et qui ne s’est pas arrêtée avec la reprise des cours. Mais aussi l’expérience de privation sensorielle à grande échelle vécue par la communauté universitaire et son silence.
Comme l’écrit Laure Catherin, « Howl2122 est une écriture de l’urgence dans l’urgence avec une optique de témoignage. Mais ce n’est pas du documentaire. C’est une tentative d’expression poétique bien ancrée dans le réel, à partir d’une situation où le Dire est au bord des lèvres, mais aucune place collective ne lui a été donné. »
Que pouvez-vous nous dire du parcours de Laure Catherin ?
Diplôme d’ingénieure du bâtiment en poche, passionnée de théâtre Laure Catherin passera trois ans à l’école du TNB à Rennes en tant qu’élève-comédienne où elle commence à écrire des récits qui lui manquaient dit-elle. Des stages à Londres et à Berlin lui permettent d’évoluer dans son rapport au jeu et à l’écriture. Elle monte son premier spectacle en septembre 2020 : « Béquille/Comment j’ai taillé mon tronc pour en faire des copeaux », sur le harcèlement moral. En mars 2022, elle crée « Howl2122 », présenté à Avignon OFF. Ce qui intéresse Laure Catherin, « ce sont les récits empêchés, ceux qui concernent un grand nombre mais qui ne trouvent pas de place pour se dire. »
Sa compagnie LaDude produit ses propres projets.
A écouter et à entendre « Howl2122 » ce vendredi 5 avril au Forum du Qu4tre à Angers, c’est gratuit et c’est organisé par l’Université d’Angers. Durée 1h10
A paraître l’intégralité du texte Howl2122 aux Editions Koïné.