Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous dîtes avoir vécu votre première « fofolle » journée de Nantes, vous parlez bien de ce grand événement musical qui bouleverse la ville depuis 30 ans maintenant ?
Exactement, fofolle, foldingue, déraisonnable et incroyable journée traversant 7 siècles de musique et bien au-delà, figurez-vous ! La folle journée de Nantes, c’est l’intelligence d’une formule éducative ouverte à tous. Des concerts de format court, 45 mn ou gratuits au Kiosque central rassemblent autour de la musique classique et contemporaine, tous les âges, dans une atmosphère généreuse de partage et de rencontres. C’est l’idée d’un homme René Martin qui a embarqué une ville, Nantes, en 1995 dans cette aventure extraordinaire. Et ça continue de plaire, au vu des publics assistant ravis aux quelque 280 concerts proposés sur 5 jours !
700 ans de musique pour cette 30ème édition intitulée « Origines », racontez-nous
D’abord ce fut le cosmos le premier artiste invité ! Incroyablement émouvant, le son du cosmos transmis par les ondes gravitationnelles créées par la fusion de deux trous noirs ou de deux étoiles à neutrons. Jusqu’en 2015, le cosmos était mutique mais on savait capter des images et là on commence tout juste à l’entendre, à percevoir des signaux sonores grâce à des instruments scientifiques géants qu’on appelle « interféromètre de Michelson » dont chaque bras mesure 3 kilomètres de long. Peter Wolf astrophysicien et directeur de Virgo, l’un des trois détecteurs existant dans le monde et installé près de Pise en Italie, était sur scène et nous faisait entendre cette musique venue de l’au-delà de chez nous petits terriens. Vertigineux ! Et ce fichier sonore se matérialisait sur écran par des graphiques mais aussi par une sculpture en 3D.
Et quel est le rapport avec la musique ancienne ou classique ?
C’est le vidéaste Raphaël Dallaporta, auteur des images de grottes et de Virgo sur l’écran, qui propose l’idée de mettre en interaction le son humain face à ces immenses détecteurs de son du cosmos. Karine Lethiec, directrice artistique de l’Ensemble Calliopée de musique de chambre, elle-même jouant de l’alto, avec le compositeur tchèque Kryštof Mařatka, sont invités en résidence dans Virgo pour y performer. Ce sera le projet Cosmosono.
Kryštof Mařatka, passionné par les musiques ethniques, non écrites et sans partition et l’art pariétal a développé un travail de compositions en répliquant plus d’une centaine d’instruments qu’il nomme « trans-instruments archaïques ». Ce sont des flûtes néanderthaliennes en os de jeune ours ou en os de vautour, une flûte tahitienne nasale pour que la musique reste pure et ne soit pas entachée par la parole, un carnyx, instrument celtique à vent, tout en longueur et à tête de serpent, … Quelle émotion d’imaginer nos très lointains ancêtres souffler dans ces instruments devant les dessins de mammouth ou d’auroch ou les traces de leurs propres mains pour exister au monde et y laisser une trace !
La troisième merveille du projet Cosmosono, c’est le lithophone, un instrument fabriqué avec des lamelles de pierre calcaire âgée de 340 millions d’années qui produit un son d’une douceur incomparable, sous la caresse du musicien Tony di Napoli.
Et comme les ondes gravitationnelles venues du cosmos, le microphone géant enregistrait celles produites par les musiciens. Ils étaient tous sur la même longueur d’onde ! Du plus lointain de l’univers au fin fond de la grotte préhistorique, les sons se connectaient à travers le temps et l’espace, entre nous et le réel. Vertige métaphysique assuré !
Quelles autres découvertes lors de cette « fofolle » journée ?
La voix humaine et les ensembles vocaux, quelle merveille ! Avec Apollo 5 (five), je décollais pour la lune, mais ce quintette vocal britannique n’avait rien à voir avec les cosmonautes. Apollo c’est le dieu grec des arts. « Invocations », titre de leur performance convoquait aussi bien le compositeur espagnol du 16ème siècle, Francisco Guerrero que le français Claude Debussy ou Elton John ! Deux sopranos, deux ténors et une basse tricotant une riche tapisserie de sons. Exaltant !
Et aussi les trois vestales formant « les Itinérantes », trois voix étonnantes, trois prêtresses issues des temples grecs ou venues d’Egypte, ou encore des landes irlandaises battues par le vent. « Origines » leur dernier album s’ouvre avec le Big Bang, rien de moins et se poursuit avec des chants traditionnels lakota, géorgien, suédois, français ou japonais. Elles chantent la terre, le feu, l’eau, l’air ou l’éther et ses espaces célestes. Leurs voix nous font trembler et nous emportent loin, très loin, là-bas ….
Et à suivre bientôt, ma seconde « fofolle » journée !
À retrouver l’Ensemble Calliopée au musée de l’Homme à Paris en mars et en avril. Apollo 5 ou Les Itinérantes en tournée en France et en Europe (voir les sites dédiés) ou en CD.