Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous souhaitez nous parler de l’exposition d’un artiste chiffonnier, qu’est-ce-à-dire ?
Vous connaissez bien sûr les chiffonniers d’Emmaüs, communauté fondée par l’Abbé Pierre en 1949 et qui fut racontée par le film éponyme du réalisateur Robert Darène en 1955. Toujours existant·es aujourd’hui les compagnon·gnes d’Emmaüs reprennent tout ce dont vous ne voulez plus pour les réparer, les remettre en vente et en tirer des subsides pour faire vivre leur communauté de précaires.
Eh bien, Laurent Tixador serait plutôt de ce bord-là, mais lui ne choisit pas ses déchets et ramasse sans hiérarchie tout ce qu’il trouve lors de ses quêtes faites en marchant. Chiffons, papiers, plastiques, bouts de bois et de métal, tout type de matériau collecté sur les plages ou dans des poubelles, et même de l’organique. Certes, le recyclage n’est pas nouveau dans l’histoire de l’art et les artistes ont intégré dans leurs œuvres des fragments du réel depuis les années 20, de Picasso et Braque, à Arman et ses accumulations, les nouveaux réalistes dans les années 60, Tony Cragg et ses compositions de morceaux de plastiques rassemblés par couleur et bien d’autres.
En quoi cet artiste est original ?
Il apparaît que ce soit un engagement profond, un véritable projet de vie que de mener une existence d’artiste cueilleur, non pas de fruits et de légumes, mais de matériaux usagés, pour leur redonner vie. Quoique en 2018, dans la vitrine du Musée d’arts, installée sur son parvis, Laurent Tixador l’avait occupée comme une serre par un système d’aquaponie où les déchets produits par les poissons étaient utilisés comme source de nutriments par les plantes. Système gagnant/gagnant pour les un·es et les autres. L’artiste y a expérimenté des cultures de récupération à partir de culs de poireaux et autres déchets de légumes trouvés dans des poubelles.
Bien avant les injonctions gouvernementales et depuis longtemps, notre sculpteur-bâtisseur pratique une sobriété bien réelle, se refusant à produire de nouveaux objets dans un monde déjà sursaturé. Sa méthode, c’est plutôt l'upcycling, améliorer l’objet trouvé pour être réemployé. Et ce avec un côté militant anti-consumériste afin de garder le contrôle sur son travail, par exemple en ignorant les dérives technologiques. Laurent Tixador sélectionne les outils qu’il estime bons pour lui, même si c’est plus long, même si ce n’est pas rentable.
Mais alors que voit-on dans cette exposition ?
Un fauteuil, une chaise, un banc, un tabouret, une table basse, réalisés à partir de bois de récupération et de branches de platanes, l’arbre citadin par excellence, car la proximité territoriale est évidemment primordiale. Une série de photographies de cadres jetés au pied de poubelles et dont l’artiste se sert pour encadrer ces mêmes photographies, comme une mise en abyme de la spirale de nos désirs et de nos rejets. Une multiprise entièrement réalisée à partir de matériaux trouvés sur un ancien site de tir de l’Ile d’Ouessant :
Cartouches en cuivre, bouteilles en plastique, fils électriques, pétrole gratté sur les rochers, assemblés ingénieusement par l’artiste et qui permet d’alimenter un vidéo projecteur. Le premier étage d’un lanceur de fusée de radiosondage, fusées météorologiques lancées entre 1972 et 2012 depuis les Îles Kerguelen, objet d’une coopération scientifique franco-russe, il en reste pas mal encore, plantées dans la terre ! Une capsule, cabane construite avec du bois de récupération bien sûr et qui occupe le haut de la galerie d’art. C’est le refuge-atelier-chambre que s’est fabriqué l’artiste pour y séjourner durant l’exposition !
Votre préférence va à la série de maquettes de cagnas. De quoi s’agit-il ?
La cagna était le nom de l’abri militaire de tranchée surtout pendant la Première Guerre mondiale, où les soldats se créaient un espace plus intime, ultime refuge contre la furie du dehors. Laurent Tixador nous propose ici une version maquette de ces habitations utopiques qu’il invente toujours avec des matériaux trouvés. Et le résultat est d’autant plus bluffant que tout semble neuf et ajusté. L’exigence de l’artiste est telle que le matériau est transcendé pour devenir toit, murs, colonnes, arbre. Les maquettes de cagnas sont présentées sur des empilements de parpaings bruts, leur servant de socles.
C’est étonnant d’imaginer comme me le confiait l’artiste le soir du vernissage, que quelques jours auparavant la galerie était pleine de déchets, un dépotoir de rebuts. J’ai pensé à l’exposition d’Arman, Le plein, à la galerie Iris Clert à Paris en 1960, où celui-ci remplit la galerie du sol au plafond, d’objets trouvés chez Emmaüs, bicyclettes, vinyles, tissus, etc, empêchant toute entrée. Tandis que Laurent Tixador a ordonné son plein, l’a rationalisé pour réactiver le déchet, son matériau opportuniste, selon ses mots. C’est celui que son environnement immédiat lui offre, matériau polyvalent qui devient sujet, matière et motif essentiel de l’œuvre de l’artiste.
Laurent Tixador est né en 1962 à Colmar, il vit et travaille à Nantes.
Voilà donc une exposition à voir et à discuter, pourquoi pas directement avec l’artiste présent dans sa capsule dans la galerie et à méditer sur notre propre surplus d’objets et notre relation au monde environnant.
« Vos poubelles sont nos citadelles », à voir chez Zoo Galerie, 12 rue Lamoricière, Nantes.
Du mardi au samedi 14 h - 19 h. Entrée gratuite. Jusqu’au 17 mai.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.