Chaque semaine, Lyudmyla Tautiyeva nous propose un aperçu de ce qu'il se passe aux frontières de l'Union européenne, traitant de sujets divers tels que la gouvernance, l’entreprenariat, ou encore l'innovation.
Vendredi dernier, 28 novembre, dans le contexte du scandale de corruption qui touche le cercle proche du président ukrainien, Volodymyr Zelensky a annoncé la démission de son chef d’administration, Andriy Yermak — une décision à laquelle beaucoup, en Ukraine comme à l’étranger, s’attendaient.
Vous avez raison de dire que nombre d’Ukrainiens anticipaient cette décision, sans pourtant y croire pleinement. Il semblait que le président Zelensky aurait du mal à laisser partir quelqu’un qui est son véritable bras droit. Andriy Yermak, ancien avocat et producteur de cinéma dépourvu d’expérience politique, est devenu chef de l’administration présidentielle en 2020. Il a progressivement accumulé un pouvoir considérable, jusqu’à devenir une figure incontournable de la politique ukrainienne.
La centralisation du pouvoir opérée par Zelensky, notamment au sein de son administration depuis le début de l’invasion russe, a largement contribué à l’ascension de Yermak. Sur le plan national, il est perçu comme l’artisan de la nomination du procureur général Ruslan Kravchenko cet été — celui-là même qui a ordonné des perquisitions illégales au Bureau national anticorruption (NABU). Ces perquisitions ont conduit à l’adoption d’une loi remettant en cause l’indépendance du NABU, largement contestée par une population descendue dans la rue en août.
Sur le plan international, Yermak a participé à toutes les négociations liées à la paix en Ukraine, y compris à Istanbul en 2022 et plus récemment à Genève, jouant un rôle plus important que le ministère des Affaires étrangères. Il demeure toutefois très critiqué par les Ukrainiens et ne bénéficie pas de leur confiance.
La démission de Yermak est directement liée au scandale de corruption qui secoue l’Ukraine depuis un mois. Quelle est son implication exacte ?
Le matin même de l’annonce de son départ, le Bureau national anticorruption perquisitionnait les bureaux de Yermak. Cette opération s’inscrit dans une enquête visant Energoatom, le monopole d’État dans l’énergie nucléaire, concernant le détournement de plus de 100 millions de dollars. Il s’agit de la plus vaste enquête de corruption menée sous la présidence de Zelensky.
Selon des enregistrements audio publiés par le NABU, les suspects auraient versé des fonds à l’ancien vice-premier ministre Oleksiy Chernyshov pour la construction de résidences haut de gamme près de Kyiv. Huit suspects ont déjà été inculpés, dont Timur Mindich, proche collaborateur du président. Deux autres hauts responsables impliqués — le ministre de la Justice Herman Halushchenko et la ministre de l’Énergie Svitlana Hrynchuk — ont été limogés le 19 novembre.
Le média indépendant Ukrainska Pravda rapporte, citant des sources au sein du NABU, que Yermak serait lui aussi impliqué : l’une des maisons de luxe financées via le système de corruption d’Energoatom lui aurait été destinée.
Quelles ont été les réactions en Europe et en Ukraine ?
Guillaume Mercier, porte-parole de la Commission européenne, a déclaré avoir pris note de l’enquête en cours et a souligné que la lutte contre la corruption restait essentielle pour l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Le dernier rapport de la Commission sur l’état des réformes en Ukraine souligne un progrès « lent » dans ce domaine et appelle à renforcer l’indépendance des institutions anticorruption.
En Ukraine, la démission a été bien accueillie par les députés du parti présidentiel Sluha Narodu et par les partis d’opposition comme Holos, qui y voient une réponse appropriée au scandale en cours.
Le président Zelensky a annoncé un remaniement de son administration, avec la nomination d’un nouveau chef attendue dans les prochains jours. Parmi les candidats évoqués par plusieurs observateurs figurent la Première ministre Yuliia Svyrydenko, le ministre de la Transformation numérique Mykhailo Fedorov, le chef du renseignement militaire Kyrylo Budanov ainsi que le ministre de la Défense Denys Shmyhal
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.