Dans cette chronique mensuelle présentée par Laurent Lanfranchi et Rafael Tyszblat, nous vous proposons une revue partielle de la presse européenne, avec notre analyse.
À l’aube de l’année 2024 qui verra les électeurs européens se rendre aux urnes, nous vous proposons un focus sur les forces politiques en présence, ainsi qu’une description des principales valeurs que celles-ci véhiculent et représentent au sein des populations.
Alors que la campagne européenne a du mal à se lancer, à cause notamment d’une géopolitique pour le moins instable, qu’en est-il réellement des espoirs et des risques qui guident les divisions politiques?
Selon Thomas Kirchner dans un article du Süddeutsche Zeitung en Allemagne, l’extrême droite a eu le vent en poupe dans presque tous les pays d’Europe, ce qui pourrait engager l’UE « dans une voie susceptible de transformer la nature qui est la sienne », qui consacrerait la « forteresse Europe » anti immigration et la défense des intérêts nationaux au détriment d’une UE plutôt progressiste et supranationale ou, dit autrement, la protection de la civilisation européenne au détriment d’une politique économique et environnementale ambitieuse.
Süddeutsche Zeitung, 07/12/2023
En Pologne, Petr Koubsky pour Denik N décrit des sociétés Polonaise, Slovaque et Tchèque divisées entre extrême droite et centre, entre défiance vis-à-vis de l’Etat de droit et imposition d’un ordre libéral. Ce, au point d’estimer que cette division tend à créer deux peuples différents dans chaque pays, « pas encore hostiles mais déjà étrangers l’un pour l’autre ». Cette analyse fait écho à de nombreux constats effectués dans les presses et les sociétés européennes en général, y compris la société française.
Denik N, 27/12/2023
Mais comment interpréter ces polarisations dans nos sociétés, à l’heure ou la mondialisation est de plus en plus remise en cause par les défenseurs d’un avenir plus local, plus souverain, et plus à même, selon eux, d’assurer la sécurité des générations à venir ?
Pour le Corriere Della Serra en Italie, Carlo Rovelli prend position, en dénonçant la vision américaine du monde qui tend à à diviser la planète entre alliés et ennemis, à imposer la suprématie d’une minorité en se dissimulant derrière, « une rhétorique fallacieuse de démocraties opposées à des états criminels ». Il se place, lui, comme défenseur d’une gestion multipolaire, démocratique et partagée des problèmes communs, qui tiennent compte des intérêts de toute la planète.
Corriere Della Serra, 22/12/2023
Aux Pays Bas, où Geert Wilders, leader du PVV, a triomphé aux récentes élections législatives, Carlijne Vos, pour De Volkskrant (orienté centre gauche), met les pieds dans le plat en s’attaquant aux valeurs universelles supposément défendues par l’Occident. Pour lui, la voix occidentale a perdu en crédibilité, à force de défendre l’indéfendable, de fermer les yeux sur des violations des droits de l’homme lorsque ça l’arrange, surtout lorsqu’il d’enjeux de politique internationale, migratoire, ou commerciale. Une remise en question des fondamentaux de l’Occident en matière d’éthique contribuerait à l’émancipation du sud global, « qui veut légitimement jouer dans la cour des grands sur la scène internationale ».
De Volkskrant, 26/12/2023
En Roumanie, Carpe Radu dans Adevarul craint la tentation du modèle anti-libéral non seulement en Europe mais dans le reste du monde car 2024 est également une année électorale dans beaucoup d’autres pays comme les Etats-Unis, la Russie, l’Inde ou l’Afrique du Sud. Il relève aussi que, quel que soit le résultat des élections au Parlement Européen, « la présence dans de nombreux États membres de partis populistes au pouvoir rendra plus difficile la mise en œuvre des plans de poursuite de l’intégration européenne. »
Adevărul, 01/01/2024
Globalement, il nous semble que les élections européennes à venir font écho aux débats nationaux actuels. Ces clivages, nous les vivons tous dans nos environnements professionnels, familiaux, et même au sein de nos groupes d’amis. Ils reflètent une anxiété réelle concernant au choix : l’immigration, l’indépendance économique, le réchauffement climatique, la capacité à faire face aux autres puissances, ou l’intégration européenne elle-même. Ils sont donc à prendre avec le plus grand sérieux.
Nous observons à Anticlash l’impossibilité apparente de nos représentants à proposer un chemin d'équilibre qui mettrait en confiance le plus grand nombre. Il est probablement impossible de répondre à tous les défis en même temps ou de mettre tout le monde d’accord. C’est justement pour cela que nous serions bien avisés de maintenir l’écoute, d’essayer de comprendre les peurs des uns et des autres - et d’éviter le manichéisme et le rejet de ceux qui ne pensent pas comme nous.
Devant la montée de l’extrême droite et une presse souvent encline à alerter les lecteurs sur les risques que ces élections comportent sur la construction européenne (le Brexit est encore présent dans les esprits), une question nous apparaît fondamentale: la structure de l’Union Européenne peut-elle s’adapter à toutes les couleurs politiques?
Nous espérons en tout cas une participation accrue des citoyens européens aux élections de juin prochain et un parlement renouvelé qui puisse représenter et répondre à des inquiétudes et des aspirations diverses, complexes mais pas forcément contradictoires des citoyens.