Aujourd’hui, vous mettez le doigt sur une inégalité sociale dont on parle peu, la confiance. Mais en quoi la confiance serait-elle liée aux inégalités sociales de notre époque ?
Il faut voir la confiance non pas comme une attitude, mais comme une ressource, une composante indispensable pour le fonctionnement tant de la démocratie que de l’économie de marché. La capacité de faire confiance devrait alors être accessible à tous, mais elle ne l’est pas. Elle est inégalement répartie selon le niveau social des individus, ou selon leur « capital culturel », pour reprendre un concept de Pierre Bourdieux. Comme le montre une enquête actuelle hautement révélatrice de l’état du monde, le public éduqué, plus prospère, bien informé est bien davantage en mesure d’accorder sa confiance à quelque institution que ce soit que la population générale dans son ensemble.
Vous et vos collègues, Simon, vous avez sans doute consulté avec grand intérêt le baromètre annuel de confiance dans les médias publié par vos confrères de La Croix la semaine dernière. Et vous avez probablement été contents de voir la radio garder sa première place parmi les sources d’information les plus crédibles.
Relance :
C’est vrai, on en scrute les résultats chaque année. Et à chaque fois, même si cela fait plaisir de voir la radio en tête en matière de crédibilité, on est un peu sonnés par le manque de confiance général qui s’y exprime.
Effectivement, cela ne risque pas de vous donner la pêche. Et si vous avez envie de tomber complètement en dépression, je vous recommande la lecture du baromètre de la confiance politique publié par le CEVIPOF, le centre de recherche sur la vie politique française de Sciences Po, il y a un an, en janvier 2019. C’est consternant.
Déprimants ou non, ces baromètres sont drôlement utiles, car elles mettent en garde contre l’érosion de la confiance, que le CEVIPOF qualifie de « valeur cardinale » de la vie en démocratie.
En revanche, ce que je leur reproche, c’est qu’ils donnent une fausse impression d’homogénéité de la population dans ce domaine, alors qu’il y a des différences très significatives entre ce qu’on appelle aujourd’hui pudiquement les catégories socio-économiques, c’est-à-dire les classes sociales.
Relance :
En fait, il faudrait disposer des chiffres selon le niveau social !
Exactement. Et pour que ces chiffres soient fiables, il faut des échantillons significatifs. C’est ce que propose le « Edelmann Trust Barometer », publié – pile-poil au moment du forum économique mondial de Davos – par la grosse agence internationale de consulting Elan Edelmann.
Cette enquête d’envergure mesure, à travers 28 pays, la confiance envers quatre institutions : le gouvernement, les ONG, les médias, et le monde de l’entreprise. Et elle fait une distinction explicite entre la population générale et ce qu’elle appelle « le public informé », qui regroupe les personnes entre 25 et 64 ans, possédant une formation universitaire et faisant partie d’un ménage dans les 25% les plus aisés de son pays.
Cela permet de mesurer, sur une échelle de 0 à 100, un index qu’ils appellent « l’écart de confiance » entre ces deux populations par pays. Et, sans surprise, la France est dans le peloton de tête sur cet index, avec 21 points d’écart, ce qui est énorme. Ceci dit, elle est en bonne compagnie, puisqu’en Allemagne, il est également de 20 points, et en Australie même de 23.
Relance :
Je présume que les Français sont aussi parmi les plus pessimistes sur leur avenir, non ?
Bien sûr ! Comme d’habitude, les Français, toutes classes sociales confondues, sont parmi les moins enclins à imaginer que leur situation puisse s’améliorer d’ici cinq ans : 19% ! Il n’y a que les Japonais qui sont encore plus déclinistes.
Mais il y a un point où les Français ne sont visiblement pas tout seuls : c’est dans la méfiance envers le « système », exprimée par exemple par les gilets jaunes. Le chiffre le plus intéressant qui sort de cette enquête sont les 56% des répondants qui affirment que « Le capitalisme tel qu’il existe aujourd’hui, fait plus de mal que de bien ». En France, ils sont 69%, mais sur les 28 pays enquêtés, il y en a bien 22 où ce constat est majoritaire !
Un système économique et sociétal auquel se voue la quasi-totalité de la planète et qui échoue dans sa finalité même, celle d’augmenter le bien-être collectif – il y a comme un gros « bug », vous ne trouvez pas ? Ce qui ressort de cette enquête, c’est une attente forte envers les élites politiques et économiques – les mêmes qui sont à Davos cette semaine ! – de se rappeler leur obligation morale de contribuer au bien commun. Comme le résume l’un des enquêteurs, « la compétence ne suffit pas », ce qu’il faut, c’est de l’intégrité, de la fiabilité, et une éthique sociétale, dans toutes les organisations, entreprises, médias, et mouvements politiques.
Relance :
Il me reste une question sur le bout de la langue : selon vous, ces enquêtes, peut-on leur faire confiance ?
En cas de doute, il faut vérifier s’ils expliquent bien leur méthodologie. On a aussi toujours intérêt à vérifier la manière dont les questions sont tournées. Et on est en droit de se méfier des chiffres provenant de certains pays à liberté d’expression limitée. Mais quand plusieurs enquêtes indépendantes se recoupent sur certains faits ou tendances, elles sont dignes de confiance. Après, à chacun de voir quelles conclusions il ou elle souhaite en tirer.
Conclusion :
Et comme pour chaque édito, le podcast et le texte, enrichi de tous les liens vers les documents cités, est déjà sur notre site !