Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.
Bonjour Marie, vous allez aujourd’hui nous parler de politique industrielle. Ce terme est entré dans le vocabulaire de l’Union européenne relativement récemment pour s’y établir peu à peu. Vous allez essayer de nous expliquer pourquoi. Pour commencer, pourriez-vous dresser un état des lieux de l’industrie en France et en Allemagne ?
La part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) en Allemagne est de 24%. La voiture, le produit industriel allemand par excellence, est le principal bien exporté en provenance d’Allemagne. Au cours des dernières années, l’Allemagne a été impactée par différentes crises allant du covid-19 à la crise énergétique. Les industries énergivores sont particulièrement touchées par la hausse des coûts énergétiques.
En France, la part de l’industrie dans le PIB est de 19%. En 2023, l’industrie aéronautique et spatiale, la chimie, les parfums et les cosmétiques mais aussi les produits agricoles et agroalimentaires affichaient un excédent commercial côté français. La crise du covid-19 a été révélatrice d’une vulnérabilité relative à l’internationalisation des chaînes de valeur. Résultat : il s’agit de relocaliser des activités en Europe.
Il faut également prendre en compte la dimension extérieure de cette problématique : face à l’Allemagne et à la France d’autres acteurs comme les Etats-Unis et la Chine mènent des politiques industrielles conséquentes en fixant des caps clairs et en se dotant de moyens considérables face auxquels ceux de l’Union européenne ne font que pâle figure.
Quelles sont les défis en termes de compétitivité industrielle en France et en Allemagne ?
La France ayant longtemps délaissé son industrie cherche aujourd’hui à se réindustrialiser. Le président français ambitionne de faire de l’Union européenne le leader mondial dans cinq secteurs stratégiques de demain : l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, l’espace, les biotechnologies et les nouvelles énergies. L’Etat investit, fait venir des technologies d’avenir et incite à la création de startups. En 2022, le capital-risque déployé au profit de startups françaises a excédé pour la première fois celui au profit d’entreprises nouvellement créées en Allemagne.
Face à la crainte de l'obsolescence de son industrie, qui semble se concrétiser par les annonces de fermetures d’usines et de licenciements dans le secteur automobile, l’Allemagne cherche à renouveler son tissu industriel. L’enjeu est celui de la transition numérique et électrique. Dans un contexte de course aux subventions pour attirer les entreprises les plus prometteuses, dans le domaine des semiconducteurs ou des batteries mais aussi au-delà, l’établissement de Tesla sur le sol allemand est une réussite mais il y a aussi des échecs comme l’illustrent les cas de Wolfspeed, de Northvolt et d’Intel.
La France et l’Allemagne envisagent-elles de coopérer pour renforcer la base industrielle européenne ?
Une stratégie industrielle européenne a vu le jour sous impulsion franco-allemande. Cela a supposé une inflexion de l’Allemagne traditionnellement très critique à l’égard d’un interventionnisme d’Etat et qui prône une séparation nette entre la sphère politique et celle des entreprises. De plus en plus confrontée à des pratiques déloyales faussant la concurrence, l’Allemagne a cependant opté pour un repositionnement. Le rachat du fleuron de la robotique Kuka par l’entreprise chinoise Midea en 2016, a constitué un début de prise de conscience sur la fragilité du modèle économique allemand. Le covid-19 a renforcé la nécessité d’élaborer un inventaire des dépendances afin de les réduire et de définir des secteurs et des technologies dans lesquels l’UE doit jouer un rôle de leader. D’autre part, au sein de l’UE il a été convenu de muscler les instruments de défense commerciale contre des distorsions de la concurrence.
Malgré cette convergence franco-allemande des désaccords persistent notamment sur le degré d’intervention de l’Etat, sur des questions d’endettement commun, ou encore sur l’application d’instruments de défense commerciale.
En Allemagne on s’achemine vers des élections fédérales en février. Peut-on d’ores-et-déjà se faire une image des priorités des différents partis pour renforcer l’industrie allemande ?
L’année 2024 a marqué la deuxième année de récession consécutive en Allemagne et la cinquième année de recul des investissements d’affilée. Se pose la question de savoir si l’Allemagne va privilégier la voie européenne pour répondre à ces défis ou si elle va opter pour une politique de l’ « Allemagne d’abord ».
Sur certains sujets, les socio-démocrates et les conservateurs allemands sont d’accord comme sur la création d’une union des marchés de capitaux qui permettrait d’orienter davantage de capital européen vers l’industrie européenne. D'autres sujets sont caractérisés par des désaccords notamment sur la fin de la vente de véhicules thermiques. Par ailleurs, pour mobiliser des moyens les stratégies diffèrent: les socio-démocrates entendent créer un fonds et mettre en place une prime à l'investissement pour favoriser les capacités de production en Allemagne. Les conservateurs, eux, proposent des mesures d’incitation au travail, de débureaucratisation et de réduction des impositions sur les bénéfices des sociétés.
Quelle direction prendra donc l’Allemagne pour renforcer son industrie à l’avenir ? Difficile à dire à ce stade. L'issue des élections de février devrait permettre d’y voir plus clair.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.