Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.
Les Allemands se sont rendus aux urnes le 23 février ; l’Union chrétienne démocrate est sortie vainqueure de ces élections. Selon toute vraisemblance, elle gouvernera avec les Sociaux-démocrates du SPD. En pleine négociation d’un contrat de coalition, il se pose également la question de la composition du futur gouvernement, Jeanette Süß. Quels sont les défis liés à la nomination des ministres en Allemagne, notamment en ce qui concerne la représentation régionale et d'autres critères ?
La répartition des ministères en Allemagne est un processus complexe qui doit prendre en compte plusieurs facteurs pour assurer un gouvernement équilibré.
Un critère essentiel est la représentation des différentes régions, des Länder. L’article 36 de la Loi fondamentale stipule que les membres du gouvernement doivent être issus de tous les Länder. Pourtant, les Allemands de l’Est restent sous-représentés dans les postes clés des ministères fédéraux.
L’équilibre entre hommes et femmes est également un enjeu majeur, tout comme l’intégration de personnalités issues de la diversité. La coalition au pouvoir vise notamment à accroître la présence de personnes d’origine immigrée dans l’administration publique.
Enfin, des considérations politiques influencent les nominations : chaque parti souhaite promouvoir ses priorités, en même temps il faut rappeler le rapport de force entre la CDU qui a obtenu 28,5 % dans ces élections et le SPD qui a eu 16,4 % seulement. Ces multiples exigences rendent la formation du gouvernement particulièrement délicate et nécessitent des négociations approfondies
Dans la future coalition entre la CDU et le SPD, comment pourrait se répartir l’attribution des ministères au vu des résultats contrastés des deux partis ?
Si les négociations aboutissent à un accord, la CDU pourrait finalement obtenir le ministère des Affaires étrangères, contrairement aux prévisions initiales – un choix hautement stratégique. Johann Wadephul est évoqué comme un candidat potentiel, mais cela reste encore de la spéculation. Friedrich Merz, président de la CDU et futur chancelier, a martelé à plusieurs reprises la nécessité pour l’Allemagne de mener une politique étrangère cohérente et lisible. Il est donc fort probable qu’il veille personnellement à ce que la CDU prenne les rênes de ce ministère afin de renforcer le rôle de l’Allemagne sur la scène internationale. Par ailleurs, avec Merz à sa tête, la CDU occupera naturellement la chancellerie.
À l’inverse, les deux autres ministères à vocation internationale reviendraient au SPD : Boris Pistorius pourrait rester ministre de la Défense et Svenja Schulze pourrait conserver le portefeuille du Développement. La nomination la plus stratégique pour les sociaux-démocrates serait sans doute celle de leur président de parti et chef de file parlementaire, Lars Klingbeil, comme ministre des Finances. Quant au ministère de l’Intérieur, il est fortement pressenti pour revenir à la CSU, la politique migratoire ayant été l’un des thèmes centraux de la campagne électorale et un enjeu prioritaire pour l’Union CDU/CSU. Si la CDU obtenait en plus le ministère de l’Économie, elle pourrait alors concrétiser une bonne partie de ses promesses de campagne.
Mais le SPD accepterait-il une telle répartition ?
Dans un tel scénario, il est très probable que le SPD tienne à conserver le ministère des Finances, un poste clé qui lui permettrait d’avoir un levier stratégique au sein du gouvernement. Celui qui contrôle les finances peut faciliter ou bloquer des décisions, comme on a déjà pu l’observer dans la coalition précédente, où le FDP s’opposait régulièrement aux projets du SPD et des Verts. Détenir ce portefeuille donnerait aux sociaux-démocrates une influence directe sur la politique budgétaire et les priorités économiques du pays. Ils pourraient ainsi orienter les décisions financières dans le sens d’une plus grande justice sociale et d’une meilleure redistribution des richesses.
Une politique budgétaire menée par le SPD mettrait sans doute l’accent sur le renforcement de la protection sociale et sur des investissements accrus dans les infrastructures, deux axes majeurs pour le parti. Cela lui permettrait également de peser sur la politique fiscale et la répartition des ressources publiques.
Peut-on s’attendre à des surprises dans l’attribution des ministères ?
Rien n’est encore figé, et il n’est pas impossible que des rebondissements surviennent dans les prochains jours. Même si l’attribution des ministères suit une certaine logique, des points restent en discussion, et des ajustements de dernière minute ne sont pas à exclure. Certains observateurs politiques avancent que des modifications de la répartition pourraient encore avoir lieu. Par exemple, la création d’un ministère du Numérique est évoquée, tandis que le ministère des Transports pourrait être intégré à un grand ministère des Infrastructures.
En revanche, une fusion du ministère du Développement et du ministère des Affaires étrangères – une distinction propre à l’Allemagne, contrairement à la France où ces compétences sont regroupées – semble peu probable.
Un point positif reste toutefois la volonté d’instaurer une stricte parité au sein du gouvernement, avec 50 % de femmes. Une avancée d’autant plus significative que la représentation féminine au Parlement est en recul, tombant à 32,4 %, un chiffre encore plus bas qu’en 2021.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.