Le projet de recherche européen COESO associe la journaliste Mathilde Dorcadie et le chercheur et spécialiste de la grande criminalité Fabrice Rizzoli. Ensemble, journaliste et chercheur, ont collaboré pendant plus d’un an sur l'usage social des biens confisqués en Italie.
Euradio : Concrètement, qu’est-ce que c’est ce projet COESO ?
Fabrice Rizzoli : Le projet COESO vise à rapprocher la science des citoyens. Ce sont des recherches participatives. Nous sommes l’un des dix pilotes COESO. On a proposé de faire travailler une journaliste et un chercheur. Le journaliste est censé vulgariser, être plus pédagogue pour que les citoyens comprennent et le chercheur est censé avoir le temps, être un peu plus scientifique et académique. On a cherché à savoir comment on pouvait collaborer tous les deux.
E : Quel est l’intérêt de ce genre de projet ?
Mathilde Dorcadie : L'intérêt, c’est de pouvoir créer des synergies entre des professions différentes qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble ou qui travaillent ensemble de façon ponctuelle. Là, on a fait de la recherche ensemble. On a discuté de chaque étape, on a échangé et on a enrichi nos propres méthodes de travail à travers la recherche. L'intérêt est de créer quelque chose qui n’existe pas dans nos manières habituelles qu’on a de travailler.
E : Est-ce que vous vous connaissiez avant ?
F.R. : On ne se connaissait pas beaucoup avant. Le projet a été fait avec le média Cafébabel et l’association Crim’Halt dont je suis le président. Cafébabel avait organisé une formation en Italie sur des terres confisquées à la mafia. Mathilde était présente et moi j’étais déjà la personne qui faisait la traduction et qui expliquait ce que c’était le crime organisé. On a appris à se connaître lors de cette formation. Avec Cafébabel, on a trouvé très intéressant de travailler ensemble.
E : Qu’est-ce que vous avez appris au cours de vos recherches ?
M.D. : J’avais déjà eu cette première formation sur l’usage social des biens confisqués, mais j’ai découvert l'étendue des types de biens confisqués. Cela va de la villa du boss à des terrains agricoles et des restaurants. Ces recherches m’ont permis d’avoir la connaissance de cette diversité de profils.
F.R. : J’ai une thèse en sciences politiques sur les mafias italiennes. Quand on étudie les mafias italiennes, on arrive très vite à l’antimafia. Depuis une dizaine d’années, je m'intéresse à ces questions. Je suis déjà allé visiter des biens confisqués. Mais la grande différence avec le projet COESO : nous avions un an, des fonds, deux terrains (deux fois six jours). Nous avons pu aller en profondeur. Même sur un terrain que je connaissais par exemple, à Casal di Principe, j’ai appris avec de nouvelles personnes que je n’avais pas encore interrogées. J’ai posé beaucoup de questions sur la jeunesse de ces personnes. Sur un terrain, que je ne connais pas, à Gênes, j’ai appris énormément de choses, notamment sur le secteur du logement social, qui a pu bénéficier très récemment de logements.
E : Qu’est-ce que ça vous a apporté ce binôme journaliste/chercheur ?
M.D. : Le premier facteur, c’est le temps. Les chercheurs passent énormément de temps sur leurs recherches. Les journalistes, pas par manque de volonté mais par toutes les contraintes que l'on connaît du monde du journalisme, n’ont pas beaucoup de temps pour approfondir suffisamment un sujet. J’ai appris aussi à gérer une très grosse quantité de données. Le chercheur, plus il en a, plus il est content. En tant que journaliste, plus on en a, plus on a du mal à trier. En tout cas, pour nous les journalistes, il faut qu’on puisse transmettre ça de façon intelligible sans que ça soit indigeste. D’où l'intérêt aussi de cette collaboration. J’espère avoir fait connaître ce sujet à un plus grand public. Parce que si Fabrice avait fait ces recherches tout seul et les avait publiées dans une revue scientifique, il n’y aurait peut-être pas eu le même impact.
F.R. : Je n’étais pas du tout préparé aux entretiens. La collaboration avec la journaliste, qui est très rompue aux méthodes des entretiens, m’a beaucoup aidé. Elle m’a laissé faire des entretiens longs sur la jeunesse des interviewés mais il ne faut pas se louper. Il ne faut pas oublier de poser LA question. Mathilde était extrêmement rigoureuse en disant “là, il n’a pas répondu sur cette question, essayons de revenir dessus”. C’était aussi très riche de travailler à deux. Au-delà de la complémentarité, il y avait sans arrêt ces échanges et débriefings.
M.D. : Ça m'a aussi fait gagner énormément de temps de travailler avec quelqu’un qui connaît extrêmement bien son sujet. Parce que j’avais un expert sous la main, quelqu’un qui connaît bien son sujet et qui a tous les contacts. Si j’avais fait ça toute seule, ça m’aurait peut-être pris un mois ou deux de préparations pour identifier les personnes et chercher par moi-même toutes les informations.
Entretien réalisé par Lou Surrans
Crédit photo : Lou Surrans