L'Europe et le monde

Enquête sur les investissements étrangers

© Le bâtiment Berlaymont à Bruxelles, siège de la Commission européenne - Crédits : Dati Bendo / Commission européenne Enquête sur les investissements étrangers
© Le bâtiment Berlaymont à Bruxelles, siège de la Commission européenne - Crédits : Dati Bendo / Commission européenne

L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde », par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio cherche donc à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.

La Commission européenne va enquêter sur l'acquisition par une entreprise émiratie d'actifs pour plusieurs milliards d'euros d'un grand groupe de télécommunication tchèque. Pourquoi ?

C'est en effet ce qu'a annoncé la Commission européenne lundi. Le règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur s'applique depuis la fin 2023 et permet à la Commission d'enquêter sur certaines activités économiques si elle soupçonne l'existence de subventions étrangères génératrices de distorsions. C'est ce mécanisme qu'utilise la Commission pour enquêter sur cette acquisition.

Quels sont les faits dans ce cas ?

Nous avons un groupe de télécommunication dont l'actionnaire majoritaire est le gouvernement des Émirats Arabes Unis. Ce groupe a signé un accord l'été dernier de 2.15 milliards d'euros pour acheter les activités bulgares, hongroises, serbes et slovaques d'un groupe tchèque de télécommunication

Et pourquoi la Commission estime qu'elle doit ouvrir une enquête sur cette transaction ?

Selon la Commission, l'enquête préliminaire indique qu'il y a assez de preuves pour présumer que le groupe émirati a bénéficié de subventions étrangères faussant le marché intérieur. Plus précisément, le gouvernement émirati aurait soutenu l'entreprise dont elle est actionnaire dans son projet d'acheter ces actifs européens grâce à des prêts et des garanties facilitant grandement la transaction. La Commission souhaite donc déterminer s'il existe déjà ou s'il est possible qu'il y ait des effets négatifs sur le marché intérieur de l'Union européenne, notamment si ce soutien gouvernemental a permis à l'entreprise émiratie de concurrencer de manière inéquitable certains concurrents intéressés par ces actifs. Réponse le 15 octobre.

Vous avez mentionné le règlement relatif aux subventions étrangères qui s'applique depuis l'année dernière. Avant ça, n'y avait-il pas de contrôle des investissements étrangers ?



Si, avant ce règlement, la plupart des États membres avaient déjà leurs propres procédures pour contrôler ces investissements, surtout dans les secteurs stratégiques. Ces procédures varient d'un État à l'autre, entre un contrôle assez poussé pour certains à une absence de contrôle pour d'autres. Cette réglementation européenne coordonne donc d'une certaine manière ces contrôles et les renforce pour les États laxistes. De plus, le règlement européen permet à la Commission de contrôler les pratiques anticoncurrentielles provenant de pays tiers, et non plus uniquement celles des États membres. Par exemple, dans une situation donnée, un État membre pouvait parfois difficilement subventionner des entreprises alors qu'un État non-européen dans la même situation le pouvait, ce qui créait une injustice et un désavantage pour les entreprises et les États européens. 

Pourquoi parle-t-on aujourd'hui de cette enquête ?

L'objectif principal de ce mécanisme est de protéger le marché européen de pratiques souvent chinoises. Mais l'ouverture de cette enquête contre une entreprise émiratie démontre que les Chinois ne sont pas les seuls à s'intéresser à des industries clefs européennes et à bénéficier d'un soutien étatique, que d'autres États cherchent à soutenir leurs entreprises opérant en Europe. Les enquêtes dans le cadre de ce règlement n'ont jusqu'à présent visé que des entreprises chinoises, comme le géant du rail chinois CRRC en Bulgarie ou deux entreprises chinoises en Roumanie fabriquant des panneaux solaires. C'est donc la première fois pour une entreprise non-chinoise. C'est aussi la première fois qu'une enquête vise un achat d'actifs, et pas seulement des candidatures à des marchés publics ou un appel à projet. On peut donc s'attendre à ce que la Commission soit plus proactive dans ce domaine.

Et comment les investissements étrangers peuvent-ils menacer la libre concurrence ?

Les exemples sont nombreux. Prenons par exemple celui de l'industrie maritime. Des ports européens très importants ont été vendus ces dernières années souvent à des investisseurs chinois. En contrôlant de nombreux ports, les entreprises chinoises bénéficient d'un avantage sur leurs concurrents en pouvant proposer des prix plus compétitifs et en réduisant leurs coûts. L'acquisition de ces ports par ces entreprises chinois a été possible grâce à des subventions et des prêts publics du gouvernement chinois, alors que les entreprises européennes souffraient des conséquences de la crise de 2008 et devaient vendre leurs biens pour se financer. Voici donc un exemple de comment de l'argent public étranger peut déstabiliser la libre concurrence au profit d'acteurs étrangers.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron