L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
Cette chronique a été initiée et proposée par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux, en 2023-2024 et est désormais animée par Ani Chakmishian.
Aujourd’hui, nous parlons de la guerre en Ukraine et du rôle clé de l’Union européenne, que ce soit sur la gestion des réfugiés ou les décisions économiques récentes. D’abord, parlons des ressortissants non ukrainiens qui résidaient temporairement en Ukraine avant l’invasion. Quelle est leur situation aujourd’hui ?
C’est une question délicate qui a été récemment abordée par la Cour de justice de l’Union européenne. On parle ici de non-Ukrainiens qui vivaient temporairement en Ukraine avant l’invasion de février 2022. Après avoir fui la guerre, certains d’entre eux ont trouvé refuge dans différents pays européens, comme les Pays-Bas. Toutefois, un avis rendu par l’avocat général de la CJUE, Jean Richard de la Tour, pourrait changer les choses. Il explique que les États membres, comme les Pays-Bas, ont le droit de mettre fin à la protection temporaire qu’ils accordaient à ces personnes, bien que cette protection soit valable jusqu’en 2025 pour les Ukrainiens.
Donc, ces réfugiés non ukrainiens pourraient être renvoyés avant 2025 ?
Pas tout à fait. Bien que les États membres puissent décider de mettre fin à cette protection, ils ne peuvent pas ordonner à ces personnes de quitter le territoire avant la date d’expiration de leur protection actuelle. C’est le cas aux Pays-Bas, où la protection a été prolongée jusqu’en mars 2025 pour ces ressortissants. Une chose à retenir : ces personnes ne sont pas considérées comme des migrants en situation irrégulière, ce qui leur donne encore certains droits, notamment celui de demander l’asile.
Et au-delà de l'Ukraine, cette gestion des réfugiés soulève une question plus large : où en est l'UE sur la question migratoire ?
C’est un véritable défi pour l’Union. L’afflux massif de réfugiés depuis la guerre en Ukraine a mis en lumière les limites des politiques migratoires européennes. Les États membres ont des approches très différentes. Certains, comme l'Allemagne ou la Pologne, se sont montrés très accueillants, tandis que d'autres, comme la Hongrie, ont toujours adopté une ligne plus dure. Cette divergence complique la mise en place d'une réponse coordonnée, et l'UE se trouve régulièrement face à des blocages politiques, notamment sur la réforme du Pacte sur la migration et l'asile.
Un sujet complexe et délicat. Passons maintenant au volet économique. Le Parlement européen vient de voter un prêt massif pour l’Ukraine. Peux-tu nous en dire plus ?
Absolument. Mardi dernier, le Parlement européen a approuvé un prêt allant jusqu’à 35 milliards d’euros pour soutenir l’Ukraine. Ce prêt sera financé par les intérêts générés sur les avoirs russes gelés en Europe depuis l’invasion de 2022. La Russie, rappelons-le, a vu près de 280 milliards d’euros de ses fonds immobilisés dans l’UE, et ces fonds génèrent entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an.
Un prêt de cette ampleur soulève sans doute des débats. Quelles sont les réactions au sein du Parlement européen ?
En effet, les avis sont partagés. D’un côté, des eurodéputés comme la Suédoise Karin Karlsbro estiment que « la Russie doit payer pour la destruction de l’Ukraine » et que soutenir l’Ukraine, c’est aussi investir dans notre propre sécurité. D’un autre côté, certains, notamment du côté de l’extrême droite, comme le Français Thierry Mariani, critiquent ce prêt, disant qu'il maintient artificiellement en vie un État, selon eux, gangrené par la corruption avant même la guerre.
Et du côté des États membres, où en sommes-nous ?
Le Conseil de l’UE, qui représente les États membres, avait déjà donné son accord début octobre, mais il reste quelques étapes avant que l’argent soit débloqué, avec des premiers versements prévus pour 2025. Et il faut aussi que les États-Unis et d’autres membres du G7 décident de leur niveau de participation financière. Il y a encore des discussions, notamment parce que Washington veut s'assurer que le gel des avoirs russes soit maintenu à long terme pour éviter des interruptions de financement.
C'est un processus compliqué, avec des enjeux à la fois économiques et politiques. Un dernier mot sur ce que cela signifie pour l’avenir de l'Ukraine ?
Cela montre clairement que l'Union européenne reste un allié clé pour l'Ukraine, tant sur le plan humanitaire que financier. Mais cela pose aussi des questions sur la solidarité entre les États membres et sur l'efficacité à long terme de ces aides, surtout dans un contexte où la guerre s'éternise et où d'autres grandes puissances comme les États-Unis hésitent encore sur la manière de gérer ces fonds gelés. L’Europe fait cavalier seul pour l’instant, mais la pression est là pour obtenir une réponse coordonnée du G7.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.