La série « L’Europe et le Monde », par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio éclaire l’auditeur sur la place du Vieux continent sur la scène internationale.
Les dirigeants de l'Union européenne ont reporté en décembre la mise en œuvre d'un accord renforçant le mécanisme de Facilité européenne pour la paix. Comment peut-on expliquer ce retard ?
Ce mécanisme permet de financer des armes pour l'Ukraine. En d'autres mots, les États membres sont remboursés pour les équipements militaires qu'ils auraient donnés à l'Ukraine. Ce report est lié à la volonté de certains États membres de réformer ce système. La France et l'Allemagne notamment contribuent à hauteur de plus de 40% à ce fonds et souhaitent le réformer.
Ce fond est-il exclusivement réservé à l'Ukraine ?
Pas du tout. A l'origine, ce mécanisme n'était pas destiné spécialement pour l'Ukraine. Il a été pensé et créé avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Il a trois objectifs principaux: "prévenir les conflits, construire la paix et renforcer la sécurité internationale". Ce fond dont le plafond financier a régulièrement été relevé sert à d'abord à financer les opérations européennes dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, mais aussi des mesures d'assistance à des pays étrangers ou à des organisations tierces.
Quel est le poids financier de ce fond ?
Ce mécanisme qui ne dépend pas du budget européen avait d'abord l'ambition d'être doté de 20 milliards d'euros. La Commission espère désormais que 5 milliards d'euros soient bientôt libérés par les États membres face à leur réticences. Cette difficulté de débloquer des fonds pour l'Ukraine s'ajoute à l'impossibilité pour les États membres de se mettre d'accord sur l'allocation de 50 milliards d'euros d'aide supplémentaire à l'Ukraine, notamment à cause du véto de la Hongrie.
Sur quels aspects du mécanisme de Facilité européenne pour la paix les États membres sont-ils en désaccord ?
Ce n'est pas juste la question des montants qui est débattue, c'est aussi d'autres aspects de ce mécanisme. L'Allemagne et la France s'opposent sur certains points importants. Euractiv rapporte que l'Allemagne souhaite réformer la façon dont la contribution des États est calculée; l'idée que propose Berlin est de déduire du calcul de la contribution les accords bilatéraux, donc l'aide directe en d'autres termes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. L'Allemagne accorderait cette année 7 milliards d'euros d'aide directe à l'Ukraine. Cela risque donc de mettre à mal le principe de solidarité sur lequel ce fond est pour l'instant basé car la participation est proportionnelle au PIB. L'Allemagne appelle aussi à modifier le processus décisionnel. Quant à la France, elle défend l'insertion d'une clause incitant l'achat d'équipement européen en priorité afin de promouvoir l'industrie de défense du vieux continent, mais aussi de faire de ce mécanisme un outil incitant à l'achat de nouvel équipement plutôt qu'à la donation. Cette dernière idée est notamment soutenue par le Service européen pour l'action extérieure.
Pourquoi est-ce important de continuer d'aider l'Ukraine ?
Cela fait bientôt deux ans que l'invasion de l'Ukraine a débuté. Les alliés de l'Ukraine dont notamment les européens ont été généreux envers l'Ukraine, mais ils ne perçoivent pas forcément le fruit de leurs donations. Pourtant la Russie investit de plus en plus dans son armée pour pouvoir progresser en Ukraine. Quant à l'Ukraine, elle voit ses réserves en équipement fondre, surtout ceux spécialisés comme les missiles de longue portée. L'armée ukrainienne espère aussi pouvoir mobiliser des centaines de milliers d'hommes, ce qui a évidemment un coût financier important. Donc si l'Europe et les autres alliés de l'Ukraine cessent de la supporter, l'Ukraine risque de perdre du terrain face au pouvoir Russe toujours aussi déterminé à conquérir le pays.
Et l'Ukraine risque de perdre le soutien financier américain ?
C'est très probable. Le Président Américain Joe Biden essaie avec beaucoup de mal de convaincre les parlementaires de son pays d'approuver une aide supplémentaire de 55 milliards d'euros à l'Ukraine. L'absence de fonds supplémentaires empêche l'administration américaine de donner de l'équipement militaire à l'Ukraine. Même si la majorité des parlementaires soutiennent cette aide, une minorité bloque le processus. Il y a pourtant urgence à accorder cette aide car l'élection présidentielle américaine approche et la victoire probable de Donald Trump provoquera certainement la fin du soutien de l'Oncle Sam à l'Ukraine.