L'Europe et le monde

L’Europe félicite, Bakou manipule : à qui profite vraiment l’accord ?

L’Europe félicite, Bakou manipule : à qui profite vraiment l’accord ?

L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.

Cette chronique a été initiée et proposée par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux, en 2023-2024 et est désormais animée par Ani Chakmishian.

Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, a félicité « l'accord de paix » entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Un tournant historique ?

En apparence, oui c'est un tournant. Mais cet accord est imposé à une Arménie affaiblie, sous pression de Bakou. Je rappelle que 120 000 Arméniens ont fui l’Artsakh (Haut-Karabakh) après le nettoyage ethnique perpétré par l’Azerbaïdjan en septembre 2023. Avec cet « accord de paix » l'Azerbaïdjan obtient tout : reconnaissance de ses gains territoriaux, absence de poursuites internationales, retrait de la mission d’observation européenne, modification de la constitution arménienne... Et en échange ? Rien. Pas même la libération des prisonniers arméniens !

Justement, ces prisonniers, parlons-en. Quelle est la situation ?

Elle est dramatique. À Bakou, des prisonniers politiques et militaires arméniens sont gardés dans les situations les plus inhumaines. Parmi eux, Ruben Vardanyan, philanthrope nominé pour le prix Nobel de la paix en 2024. Il est l’ancien ministre d'État de l’Artsakh, emprisonné depuis septembre 2023. Il a mené deux grèves de faim pour dénoncer ses conditions de détention et son procès inéquitable. Son dossier compte 25 000 pages dans une langue qu'il ne comprend même pas. Les seules visites autorisées étaient celles de la Croix Rouge, avant que l'organisation ne soit expulsée d'Azerbaïdjan. Le Parlement européen a adopté quasi-unanimement une résolution condamnant ces détentions et exigeant leur libération immédiate. Mais ça n'empêche pas l'Azerbaïdjan de continuer ses simulacres de procès.

L'Europe réagit donc, mais cela suffit-il ?

Non, loin de là. Les instances européennes s'indignent, mais ne bouge pas. Entre temps l’Europe continue quand même d’acheter le pétrole et le gaz azéri en alimentant la dictature du Président Aliyev. Qui, en passant, est en vérité du gaz russe. Il faut rappeler que Freedom House et Amnesty International classent le pays parmi les pires du pire en matière de respect des droits de l’homme. L’eurodéputé François-Xavier Bellamy l'a dénoncé au Parlement européen : on condamne d'une main, on finance de l'autre. Je rappelle que le gouvernement arménien a approuvé en janvier 2025 un projet de loi pour adhérer à l'UE. L’Arménie veut l’Europe, mais l’Europe hésite.

Y a-t-il des sanctions envisagées contre Bakou ?

Le Parlement veut en établir. En tout cas, sans vraies sanctions, Bakou demeure incontrôlable. D'autant plus que les observateurs européens, qui gênaient les ambitions expansionnistes de l'Azerbaïdjan, risquent d'être retirés si « l’accord de paix » est signé.

Pourquoi ce retrait inquiète-t-il ?

Parce qu'il laisserait le champ libre à de nouvelles agressions. La Mission d’observation européenne à la frontière sert de garantie pour l’intégrité territoriale arménienne. Or, on l’a bien vu l'Azerbaïdjan ne se satisfait jamais. Même après un « accord de paix », Ilham Aliev continue d'exiger plus. Bakou teste les limites. Si l'Europe reste passive, la démocratie arménienne, seule démocratie régionale, sera en péril.

Donc, en résumé, cet accord de paix est loin d'assurer une paix durable ?

Absolument. Sans garantie avec un droit de retour pour les 120.000 réfugiés arméniens, sans sanctions contre Bakou, sans libération des prisonniers, ce n'est pas un accord, mais presque une capitulation forcée. Et l'Europe a un choix : agir maintenant ou regarder un nouveau drame se produire. Comme le souligne le Représentant de l’Artsakh en France, Hovhannès Guévorkian : "Ce traité, présenté comme un tournant historique, repose sur des bases fragiles et des concessions unilatérales. L’histoire nous enseigne qu’une paix imposée n’est jamais durable."

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.