Plongée dans les océans - Sakina Ayata

Les grands fonds marins

@Diego San sur Unsplash Les grands fonds marins
@Diego San sur Unsplash

"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire sur euradio qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.

Sakina, aujourd’hui vous allez nous parler des grands fonds marins.

Qu’est-ce que c’est ?

Et bien l’océan a une profondeur moyenne d’environ 3700 mètres. Autant dire que c’est profond ! On parle de zones ou de plaines abyssales pour décrire ces écosystèmes du fond des océans situés entre 4000 et 6000 m. Mais il existe aussi des zones beaucoup plus profondes, la plus célèbre et la plus profonde étant la fosse des Mariannes dans le Pacifique, qui atteint 11500 mètres de profondeur.

A de telles profondeurs, tout doit être totalement sombre, non ?

Oui, en effet. On considère qu’à partir de 1000 mètres de profondeur, il fait totalement nuit dans les océans. Impossible donc de réaliser la photosynthèse pour assurer la base des réseaux trophiques. Il fait aussi très froid, puisque la température est quasi constante, entre presque 0 et 3°C selon les endroits. La pression est également très forte.

Et on trouve des organismes vivant à de telles profondeurs ?

Oui, car la vie a colonisé toute la planète ! Les organismes vivant au fond des océans, et que l’on appelle organismes benthiques, vont alors dépendre de la matière organique qui tombe depuis la surface, comme par exemple la neige marine, constituée de particules organiques qui sédimentent vers le fond des océans, mais aussi les carcasses de baleines, qui lorsqu’elles se déposent au fond des océans créent des oasis grouillants de vie. On peut aussi citer quelques écosystèmes abyssaux très particuliers, comme les sources hydrothermales au niveau des dorsales océaniques. Ces écosystèmes, découverts il a seulement 50 ans, abritent des espèces capables de convertir l’énergie chimique sous forme de matière organique, on parle alors de chimiosynthèse.

Qui sont ces organismes qui habitent dans les grands fonds ?

Dans les plaines abyssales « classiques », les animaux benthiques les plus abondants sont les oursins, les étoiles de mer, leurs cousines les ophiures, et les concombres de mer. En revanche, au niveau des sources hydrothermales, caractérisées par de très fortes températures allant jusqu’à plus de 300°C dans les fluides hydrothermaux, on trouve des bactéries capables de vivre à très grandes températures. De nombreuses bactéries vivent aussi en symbioses avec des animaux adaptés pour vivre entre 4° et 50°C, comme des vers géants, des crabes, des bivalves et en particulier des moules. On y trouve aussi des poissons ou encore des poulpes.

Ces grands fonds marins attisent les convoitises et on entend de plus en plus parler de leur exploitation minière. De quoi s’agit-il exactement ?

En anglais on parle de « deep sea mining », ce qui pourrait se traduire par l‘« exploitation minière de l’océan profond ». Le principe est d’extraire des matériaux rares, en particulier des métaux, dans des zones situées à plus de 200 mètre de profondeur. En effet, les plaines abyssales hébergent des nodules polymétalliques et les sources hydrothermales sont riches en sulfure.

Et quels sont les gisements océaniques les plus convoités ?

Il y en a trois. Tout d’abord, les nodules polymétalliques, qui sont de gros cailloux sombres de quelques centimètres posés au fond des océans, et qui ont mis plusieurs millions d’années pour se former par accrétion. Ils sont très riches en cobalt, manganèse, nickel et cuivre.

Ensuite, il a les encroûtements polymétalliques, situés à la surface des monts sous-marins. Ce sont des couches de quelques centimètres d’épaisseurs qui ont, elles-aussi, mis plusieurs millions d’années pour se former par accrétion, et qui sont très riches en cobalt, fer, manganèse, métaux rares, et métaux précieux comme le platine.

Enfin, il a les dépôts riches en soufre, qui, eux, sont situés dans les zones hydrothermales, où les métaux et les sulfures transportés par les eaux chaudes précipitent au contact de l’eau froide, formant ainsi de grands dépôts de minéraux sulfurés, riche en métaux classique (cuivre, zinc, plomb), mais aussi en métaux précieux (or, argent).

Et donc ces minerais des grands fonds attisent les appétits des compagnies minières ?

Oui, à l’heure où les besoins en cobalt, lithium, manganèse, et cuivre augmentent, en particulier pour fabriquer des batteries, les grands fonds marins attirent toutes les convoitises car les ressources semblent énormes.

L’exploitation minière des grands fonds est-elle déjà autorisée ?

Dans les eaux situées dans la zone économique exclusive (ou ZEE) à moins de 200 milles marins (environ 370 km) des côtes, chaque état est libre de faire ce qu’il veut, mais au delà, c’est l’Autorité Internationale des Fonds Marins, l’AIFM, qui régule et attribue les permis d’exploration et d’exploitation entre les pays. Et ces attributions sont vivement critiquées par les associations de protection de l’environnement mais aussi par les scientifiques.

Et pour quelles raisons ?

Et bien, parce que l’exploitation minière  aurait un impact désastreux et vraisemblablement irréversible sur les grands fonds, qui sont des écosystèmes entre très mal connus et qui ont mis des milliers, voir des millions d’années à se former. Si ces écosystèmes sont exploités, ils seront vraisemblablement détruits pour toujours avec d’importantes conséquences sur l’ensemble des écosystèmes marins, car creuser pour ramasser les métaux produirait des panaches de particules qui pourraient subsister très longtemps et perturber voir polluer tout l’écosystème, mais aussi relarguer du CO2.

C’est pour ces raisons que certains pays, comme la France, l’Allemagne, le Chili, ou le Vanuatu, aimeraient voir un moratoire sur l’exploitation des grands fonds. A suivre donc !

Pour aller plus loin :

https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-grands-fonds-marins-ces-inconnus-menaces

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/grand-reportage/grand-reportage-emission-du-vendredi-17-fevrier-2023-9417242