"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.
Sakina, lors d’une précédente chronique vous avez commencé à nous parler des éoliennes en mer. Aujourd’hui vous allez nous parler du lien entre ces éoliennes « offshore » et la biodiversité marine.
En effet, car la présence d’éoliennes en mer entraîne plusieurs pressions potentielles. De manière générale, les pressions potentielles exercées par les activités humaines sur les écosystèmes marins sont divisées en trois grands thèmes, selon s’il s’agit de pressions physiques, de pressions biologiques, ou de pressions liées à des substances, des déchets et de l’énergie. Mais ces pressions vont évoluer selon la phase du projet d’éolienne en mer, c’est-à-dire si on est en phase de prospection, de construction des éoliennes, d’exploitation et de maintenance, ou de démantèlement.
Sakina, j’imagine que les pressions engendrées par les éoliennes en mer ont fait l’objet de plusieurs rapports et études.
Oui. On peut par exemple citer le rapport produit par l’Office Français pour la Biodiversité (l’OFB) en 2023, qui est le tome 2 de son référentiel technique pour la préservation de l’environnement marin dans les projets d’éoliennes en mer. L’OFB y détaille en particulier les niveaux des différentes pressions engendrées par les projets d’éolienne, en distinguant les pressions faibles, les pressions modérées, et les pressions hautes.
Sakina, si on devait résumer, quelles seraient les pressions les plus hautes ?
Et bien elles sont liées à la perte physique d’habitat, au tassement et remaniement du fond, à l’émission de bruits importants (en particulier lors de la phase de construction), à l’émission de lumière, à la contamination, en particulier par des éléments traces métalliques et des organométaux, mais aussi, pour les animaux, à des risques de collision, des obstacles au mouvement, ou du dérangement visuel. Les éoliennes en mer modifient également la sédimentologie, l’hydrologie et les conditions atmosphériques dans la zone. C’est pourquoi, dans le but de réduire ces pressions, chaque projet doit mettre en œuvre une séquence appelée « éviter, réduire, compenser » (ou séquence ERC), afin donc d’éviter, de réduire, ou de compenser ces différentes pressions subies par les écosystèmes marins.
Sakina, quels sont les principaux organismes vivants qui peuvent être affectés par les projets d’éoliennes en mer ?
Et bien on peut citer les oiseaux et les chauves-souris, qui peuvent perdre de l’habitat, être gênés pour leurs déplacements et en particulier pour leurs migrations, ou encore risquer des collisions avec les pales des éoliennes. Lors de la phase de construction d’éoliennes fixées, les bruits générés sont très élevés, et peuvent donc perturber les mammifères marins ou les tortues marines, qui vont souvent éviter les zones concernées et donc subir une perte d’habitat. Lors de la phase de construction, le remaniement du sol et la remise en suspension des sédiments peuvent aussi perturber la vie marine, comme les poissons qui vivent près du fond.
Les éoliennes en mer ont donc un effet uniquement négatif sur la biodiversité marine ?
Non, car la présence d’éoliennes offshore peut aussi favoriser le développement de la biodiversité, comme ça a été observé en Belgique en particulier, et ceci à travers deux effets : l’effet réserve et l’effet récif. Dans certains champs d’éoliennes, les activités humaines, et en particulier la pêche, sont parfois interdites. Les organismes marins ne sont donc plus soumis à ces pressions anthropiques et sont donc préservés, un peu comme sous une cloche de verre, la présence humaine liée aux opérations de maintenance restant rares et ponctuelles : c’est ce que l’on appelle l’effet réserve. Et puis, dans le cas des éoliennes fixées, le support des éoliennes forme un nouveau substrat sur lequel les organismes peuvent venir se fixer, ce qui va aussi attirer d’autres espèces qui vont venir trouver refuge, habitat, et nourriture, formant ainsi des îlots de biodiversité. C’est ce que l‘on appelle l’effet récif. Ainsi, on a pu observer dans certains cas que la présence d’éoliennes pouvait augmenter les prises de pêches à proximité.
Cependant, plusieurs questions restent en suspens, comme la transportabilité de ce qui a été observé en Mer du Nord sur les autres façades maritimes françaises, ou la question des impacts cumulés, en particulier dans un contexte du changement climatique. Des études sont donc encore nécessaires, avec en particulier des suivis à long terme de la biodiversité marine.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.