"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire sur euradio qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.
Sakina, aujourd’hui vous allez nous parler d’un sujet dont on a beaucoup entendu parlé récemment, à savoir les algues vertes et leur prolifération sur nos côtes.
Oui, ce problème, apparu de manière massive et récurrente depuis les années 70, a été largement médiatisé avec la parution de la bande dessinée d’Inès Léraud et de Pierre Van Hove en 2019 (Algues vertes, l’histoire interdite), puis avec la sortie du film de Pierre Jolivet (Les Algues vertes) en juillet 2023.
Sakina, avant de commencer, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est une algue verte ?
Les algues vertes regroupent tout un tas d’organismes photo-autotrophes, c’est-à-dire utilisant le soleil et le CO2 pour réaliser la photosynthèse et produire de la matière organique. Elles vivent dans l’eau, et leur morphologie est assez rudimentaire. Certaines algues vertes sont unicellulaires alors que d’autres sont formées de plusieurs cellules. Mais les algues vertes ne sont pas un groupe monophylétique, c’est à dire qu’elles regroupent des organismes ayant des histoires évolutives très différentes. On retrouve donc les algues vertes dans différentes lignées évolutives. Le point commun de toutes ces algues, c’est qu’elles possèdent comme principaux pigments photosynthétiques des molécules appelées chlorophylles a et chlorophylles b. Mais elles ne sont pas toutes vertes pour autant, puisque certaines peuvent être de couleur rose, orangée, ou même rouge !
Quand on parle de prolifération massive d’algues vertes, ou de marées vertes, de quelle algue verte s’agit-il alors ?
Sûr nos côtes hexagonales, il s’agit le plus souvent de l’ulve, aussi appelée laitue de mer car elle ressemble un peu à une feuille de salade verte. D’ailleurs, si on la récolte fraîche sur les rochers à marée basse, on peut l’utiliser en cuisine. Le problème, c’est lorsque cette algue prolifère et vient s’échouer en masse sur les plages. Elle va alors former un tapis d’algues mortes, qui va sécher, perdre sa couleur verte pour devenir blanche, et se décomposer.
Et en quoi est-ce problématique ?
En se décomposant, ces algues libèrent un gaz, le sulfure d’hydrogène ou H2S, qui a une odeur d’œuf pourri. Ce gaz toxique pique les yeux et le nez et peut entraîner des nausées, des maux de tête, des évanouissements, voir des comas et même la mort. Marcher sur un épais tapis d’algues en décomposition peut donc s’avérer dangereux car en marchant dessus, la croûte d’algues séchées se casse et peut alors libérer une grande quantité de sulfure d’hydrogène.
Ces tapis d’algues en décomposition représentent-il une grande surface ?
Dans un article paru en août 2023 dans la revue scientifique Marine Pollution Bulletin, des chercheuses et des chercheurs du CEVA, le Centre d'Étude et de Valorisation des Algues (dans les Côtes d’Armor), ont estimé qu’entre 2003 et 2020, la surface cumulée des tapis d’algues en décomposition a représenté en moyenne 2,4 hectares par an, soit la surface de 19 piscines olympiques ; et plus de la moitié de ces échouages d’ulves ont été observés en Baie de Saint Brieuc-Binic.
Pourquoi se développent ces marées vertes ?
Trois facteurs sont clairement identifiés. Premièrement : la géographie des baies refermées, sableuses, et en pente douce, où l’eau est peu renouvelée à chaque marée. Deuxièmement : une météo favorable avec un bel ensoleillement et de bonnes conditions de température et de vent. Et troisièmement : un apport élevé de nitrates par les rivières, un phénomène aussi appelé eutrophisation. Ce nitrate, NO3-, provient d’une utilisation très importante d’engrais azoté dans les champs ou de fuites de lisier.
Et c’est sur ce troisième facteur, lié aux activités humaines, qu’il est possible d’agir, n’est-ce pas ?
Oui. En effet. En 2010 l’état français a mis en place le premier « Plan de Lutte contre les Algues Vertes » qui prévoyait le ramassage des algues échouées, une diminution de l’utilisation d’engrais azoté, et la réduction des fuites de lisiers. D’ailleurs, l’état verse aujourd’hui entre 600 000 et 1 million d’euros par an aux collectivités locales pour couvrir leurs frais de ramassage d’algues. Mais, 13 ans plus tard, le problème n’est pas réglé.
D’ailleurs, si demain on stoppait net l’apport de nitrate sur nos côtes, il faudrait 10 ans pour que le problème cesse, étant donnée la grande quantité d’azote déjà libérée dans le milieu. Dans leur article, les scientifiques du CEVA soulignent en effet que la quantité d’algues échouées chaque année est fortement liée à la quantité d’algues résiduelles de l'année précédente.
Et quel est l’impact de ces marées vertes sur les écosystèmes côtiers ?
En plus de la production de sulfure d’oxygène, qui est toxique pour les animaux, elles entraînent une diminution de l’oxygène dans les eaux côtières, ce qui impacte directement les organismes marins et augmente la mortalité de la macrofaune benthique. Et puis la récolte des algues en décomposition perturbe aussi la faune et la flore du sable. Il devient donc nécessaire de réduire au plus vite l’élevage intensif et encourager la conversion en agriculture biologique.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.