Il existerait plus de 300 langues des signes à travers le monde, pour 70 millions de pratiquants, selon l'Organisation des Nations Unies. En Europe, pour 29 langues signées, on en compte environ 500 000, selon les estimations de l'organisation Union Européenne des Sourds.
Pour la Journée mondiale des langues des signes, le 23 septembre, la ville de Bordeaux organise une semaine dédiée à la promotion et à la visibilité de ces langues.
Sur les hauteurs de l'hôtel de ville, aux côtés des autres drapeaux, le drapeau signant, représentant une main turquoise aux contours jaunes sur fond bleu, est hissé. À cette occasion, euradio s'est rendu sur place et a rencontré Sandrine Arman, de l'association Reg'art, qui vise à diffuser la langue des signes dans les arts et la culture. Interprétée par Aurélien, de la SCOP Signe, elle nous raconte le combat amenant à la reconnaissance de la langue des signes, en France en 2005.
Une langue longtemps marginalisée et proscrite
"Il s'agit d'un combat qui a duré très longtemps, pour une langue qui a en fait, une origine humaine. Pour les personnes sourdes, qui n'ont pas le sens de l'audition, il s'agit de créer un moyen de communication. C'est naturel.
Le problème, c'est que, avant que celle-ci soit vraiment incluse, il y a eu tout un combat à un moment où les langues minoritaires ont été éradiquées, y compris la langue des signes." Pendant longtemps, la pratique orale était en effet fortement encouragée, la langue des signes se retrouvant marginalisée, voire proscrite.
"En 1880, les orthophonistes se sont réunis au Congrès de Milan pour interdire la pratique de la langue des signes. Les professionnels sourds se sont fait virer des établissements dans lesquels ils travaillaient. De là s'en sont suivies de réelles maltraitances envers les sourds.
Bien entendu, il existait toujours une petite minorité qui se cachait et pratiquait la langue des signes. Souvent dans les associations sportives. Le premier endroit où la langue des signes a vraiment resurgi, c'était ici à Bordeaux, à l'Institut Castéja [ancienne école d'enseignement spécialisé pour jeunes sourdes et malentendantes], et à Paris, à l'Institut Saint-Jacques. Puis, la langue des signes française a fini par s'exporter aux États-Unis.
Il y a eu les signes méthodiques de l'Abbé de l'Épée, qui, justement, reconnaissait le droit aux personnes sourdes de pouvoir être éduquées par la langue des signes. Après, on nous a appris cette langue des signes dans plein d'autres pays, on a été un grand modèle. [...]"
Le "réveil Sourd"
"C'est dans les années 1970, il y a ce qu'on appelle le "réveil Sourd", un grand moment dans l'histoire de notre communauté, où les sourds ont commencé à se battre pour la reconnaissance de leur langue des signes.
[Bernard] Mottez, sociologue de formation, s'est rendu à un congrès mondial de la Fédération Nationale des Sourds de France, à Paris. Sur place, il constate qu’il n’existe absolument aucune trace de langue des signes dans cet espace. Cela l’étonne, d’autant plus qu’il s’agissait d’une rencontre internationale. Rien n’était prévu à ce niveau-là.
En revanche, il remarque que la langue des signes subsistait encore dans certains cercles associatifs. Il a alors parcouru une vingtaine d’associations pour recueillir des témoignages et des récits de vie.
À cette époque, beaucoup de personnes sourdes étaient parties aux États-Unis pour tenter de réaliser leurs rêves : devenir enseignants, médecins, etc. Plusieurs sont ensuite revenues en France, et ont joué un rôle essentiel dans l’émergence du "réveil sourd". Ce mouvement a mené constitué une partie importante de la lutte pour la reconnaissance de la langue des signes — un droit fondamental !"
Une reconnaissance incomplète
"Aujourd'hui, la langue des signes [française] est reconnue à travers la loi relative au handicap [de 2005]. Cela nous paraît toujours bizarre : si un entendant ne connaît pas la langue des signes, c'est un handicap partagé et pas uniquement le nôtre.
D'où mon discours de tout à l'heure... Non, la langue des signes n'est pas une option. Non, ce n'est pas un outil. Oui, c'est une vraie langue. [...] C'est pour ça que nous aimerions la voire inscrite dans la Constitution. D'autres pays européens [l'Autriche, la Finlande, la Hongrie, le Portugal et la Slovaquie] ont déjà franchi ce pas. En somme, le combat est long et n'est pas fini."
En plus d'une reconnaissance tardive et inaboutie, Sandrine regrette que la langue des signes ne soit pas plus enseignée.
"Malheureusement, en France, on apprend encore beaucoup plus le français que la langue des signes à nos enfants sourds. Or, c'est un besoin des enfants sourds. Ça reste leur langue maternelle et naturelle."
Le combat pour la dignité humaine
Le combat pour la reconnaissance de la langue des signes reste "extrêmement dur", insiste Sandrine, notamment face aux préjugés persistants dans la société. "On voit souvent notre oreille comme un organe à réparer, une parole à acquérir", déplore Sandrine Arma. L’idée reçue selon laquelle l’apprentissage précoce de la langue des signes empêcherait celui de l’oral demeure tenace. « Alors que non », insiste-t-elle. Selon elle, acquérir une première langue facilite au contraire l’apprentissage d’une seconde, en l’occurrence le français écrit.
Pour elle, l’enjeu n’est pas de "devenir égaux aux entendants au sens biologique ou physiologique". Elle précise : "On ne souhaite pas entendre. On souhaite être considérés comme des humains, et être pris à part entière."
Un droit fondamental, rappelle-t-elle, déjà inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui garantit la liberté d’expression, "à l’oral, à l’écrit, ou par les gestes ". La langue des signes, conclut-elle, "c’est exactement ça : l’expression par le geste".