Surréalisantes

Surréalisantes #10 - Gisèle Prassinos

@Centre Pompidou Surréalisantes #10 - Gisèle Prassinos
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Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait d'une artiste.

Aujourd’hui, dans Surréalisantes, vous voulez nous parler d’une photographie

Celle en noir et blanc d’une toute jeune fille de 14 ans en habit d’écolière, les yeux rivés vers des manuscrits qu’elle tient dans ses mains. Devant elle, sont rassemblés des hommes plus âgés en costume. Leur regard et leur posture renvoient aussi bien de la fascination qu’une forme de paternalisme. Cette jeune fille, c’est Gisèle Prassinos et elle est photographiée par Man Ray en train de lire ses poèmes au Café Dynamo devant André Breton, Paul Éluard, Benjamin Péret, René Char et Henri Parisot, bref tout le gratin des poètes surréalistes.

Mais comment se fait-il qu’elle ait atterri ici ?

Pour comprendre cette situation peu commune, il faut un peu revenir en arrière. Gisèle Prassinos naît le 26 février 1920 à Constantinople, avant que la ville ne soit officiellement rebaptisée Istanbul. À cette époque, la Guerre gréco-turque fait rage sur les ruines de l’ancien Empire Ottoman. Sa famille fuit le pays lorsqu’elle a deux ans et s’installent à Nanterre, en banlieue parisienne. Les Prassinos vivent avec peu de moyens mais demeurent des intellectuels. Le frère aîné de Gisèle, Mario, va au Lycée Condorcet et joue au théâtre. Il est fasciné par l’aventure surréaliste et rêve de se rapprocher de ses modèles.

Et c’est sa petite sœur qui va l’aider

Gisèle, qui a donc 14 ans, se met du jour au lendemain à écrire avec une méthode qui semble tout droit tirée de l’écriture automatique surréaliste. Elle raconte que ça lui est venu un jour d’été où elle s’ennuyait dans son immeuble nanterrois. Elle est tombée nez-à-nez avec la vision de femmes de ménages épuisées par la chaleur, allongées par terre dans le couloir pour chercher de la fraîcheur, comme des mortes. « Quel choc ! Je suis allée à la petite table où je faisais mes devoirs, et je me mise suis à écrire, n’importe quoi, des phrases comme : Ces saletés sont magnifiques, a répondu mon soulier » raconte-t-elle. Son frère tombe sur ses textes, et les envoie à Henri Parisot, l’éditeur des surréalistes.

Mais elle, elle est d’accord ?

Et bien, on ne sait pas trop ! Tout est-il que les surréalistes trouvent ses textes géniaux, d’autant plus géniaux qu’ils sont écrits par une petite fille de 14 ans. Ils voient en elle, une nouvelle Alice, une incarnation parfaite d’une figure qu’ils fantasment : la « femme-enfant ». Pour eux, elle aurait accès à des strates plus profondes des mystères de l’inconscient. Pendant une petite période, Gisèle est brandie comme un génie du surréalisme. Ses poèmes sont publiés dans leurs revues et son premier recueil, La Sauterelle arthritique paraît en 1935, préfacé par André Breton. Mais à 19 ans, Gisèle n’est plus une enfant et elle en a marre de cette bande d’hommes un peu prétentieux, alors, elle prend ses distances.

J’ai l’impression qu’à partir de ce moment-là, on ne sait plus grand-chose d’elle

Comme pour beaucoup d’autres dans son cas, le monde littéraire se désintéresse. Ce qui n’empêche pas Breton de publier, sans son réel accord, quelque uns de ses textes dans son Anthologie de l’humour noir, en 1940.À l’occasion d’un entretien au début des années 2000, elle revient sur son époque avec les surréalistes : « Ils m’intimidaient et me traitaient un peu comme un objet […] Quand j’y pense, ils ne me parlaient même pas directement comme à une personne à part entière […] j’illustrais leur théorie. J’étais une preuve que l’inconscient existe, et qu’il peut fonctionner. » Pendant la guerre, Gisèle cesse de publier pour recommencer à la fin des années 50, mais cette fois, loin des canons surréalistes. Elle garde de ses tous premiers textes une imagination rare. Mais ce qui reste caractéristique de sa patte, c’est son indécrottable humour poétique. « C’est important l’humour, ça aide à vivre. Il faut toujours se moquer un peu de soi. » dira-t-elle dans ce même entretien. Elle décède en 2015 à l’âge honorable de 95 ans, laissant derrière elle pas moins de 36 recueils, contes, nouvelles et romans.