Du 16 au 19 janvier, Romain L'Hostis a suivi la session plénière du Parlement européen à Strasbourg qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union.
Il reçoit des députés en direct sur le plateau d'euradio au cœur du Parlement entre 18h et 18h30 pour faire le point sur les débats en cours. Mercredi 19 janvier Romain L'Hostis recevait l'euro-députée française Sylvie Guillaume du groupe de l'Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, membre de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE).
Cela fait un mois depuis les révélations du début d'une enquête sur certains membres du Parlement, accusés de corruption en faveur des intérêts de l'Etat du Qatar. L'enquête est encore en cours et les révélations continuent au fur et à mesure. Par exemple le fait que le Maroc se soit lui aussi impliqué dans ce réseau pour tenter d'imposer ses intérêts sur le travail des parlementaires. Face à ce Qatargate, on attendait avec intérêt les annonces de la présidente du Parlement Roberta Metsola, qui s'était engagée à mettre en avant des solutions, des moyens pour améliorer la transparence au sein de cette institution de l'UE. Sylvie Guillaume, comment se sent-on quand on est députée européenne dans un tel contexte depuis un mois. Vous diriez que la tension commence à retomber, ou bien qu'au contraire nous sommes encore dans la stupéfaction, la fébrilité ?
Je ne vous cache pas que c'était un énorme choc. Je ne vous cache pas non plus d'avoir été assez déprimée. Parce que les agissements de certains même si on voit qu'il y avait des connexions qui sont existantes, cela a rejailli sur nous tous. C'est vrai qu'il y avait un côté un peu fusil disperseur de ces accusations. Un espèce de discrédit collectif. Et ça c'est extrêmement déprimant parce qu'en plus j'ai quand même le sentiment.. j'essaie de défendre le fait que l'Union avait quand même politiquement et en terme de gouvernance plutôt progressé, franchi des étapes importantes : gérer le départ des Britanniques ; gérer et réagir au Covid ; reparler de souveraineté européenne ; créer un plan de relance commun ; affronter un conflit à nos frontières ; relancer l'Europe de la défense ; travailler sur l'Europe de la santé... Il y avait quand même des événements qui - vis à vis de l'opinion publique - [...] des moments plutôt positifs de l'Union européenne. C'est vrai que prendre ça dans la figure, il y a un côté plutôt déprimant. Mais il faut réagir. Je pense que les principaux concernés - [...] dont le groupe socialistes et démocrate - ont réagi très rapidement et continuera à le faire. Il est hors de question d'être dans le "business as usual" s'agissant de ce type de comportement.
La présidente de votre groupe des S&D Mme Garcia Perez a déclaré qu'il s'agissait à présent de "rétablir la confiance avec les citoyens mais aussi de réparer les dégâts causés par quelques uns à la crédibilité du Parlement". [...] Officiellement les résultats de l'enquête ne sont pas encore fixés.. est-ce que cela crée une sorte de méfiance entre les parlementaires ?
C'est difficile à dire. Je ne pense pas entre les parlementaires. Il y a eu un effet de sidération. [...] On ne peut pas non plus complètement évacuer l'exploitation politique qui est faite sur notre dos, sur notre comportement. [...] L'essentiel maintenant est d'avoir dans le viseur comment on rétablit la confiance dans l'opinion publique, comment les agissements de certains ne sont pas les agissements de tous. [...] Comment on fait en sorte d'avoir des enquêtes très poussées sur ceux qui ont fait acte de corruption. Puisqu'il y ait des corrompus, il faut aussi qu'il y ait des corrupteurs. Sur toutes ces questions, il y a aussi des puissances étrangères qui ont agi de manière à avoir une influence là où elles ne parvenaient pas à en avoir d'un point de vue politique. Et puis, il faut prendre des mesures s'agissant du fonctionnement du Parlement européen. Pour avoir travaillé sur les questions de transparence tout le mandat précédent en tant que vice-présidente du Parlement européen, on a toute une batterie de choses qu'on peut mettre en place. Il faut notamment que ces mesures soient pour beaucoup d'entre elles obligatoires - ce qu'elles ne sont pas pour le moment. On peut s'inspirer aussi de certaines expériences heureuses dans un certain nombre d'Etats-membres, notamment en France avec la Haute autorité pour la vie politique française qui gère l'examen de nos patrimoines à l'entrée de mandat et en sortie, et qui a un regard très acéré sur la manière dont on fait. [...] C'est extrêmement sérieux. Par ailleurs c'est une haute autorité qui, quand on a besoin de conseils, nous les donne. C'est quelque chose de très utile, et je pense qu'au niveau européen ça pourrait avoir son importance vis à vis de nos collègues.
Concrètement, comment cela va se passer ? Lundi, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola a ouvert la session plénière sur ce défi. Elle s'est engagée personnellement à proposer des solutions. 14 objectifs au total ! On connaissait les 14 points de Wilson, le président américain et son programme de paix mondiale à la fin de la Première Guerre Mondiale. Maintenant nous avons les 14 points de Roberta Metsola et son programme pour remettre de l'ordre au sein de la démocratie européenne. Au delà de la poésie historique, un aspect que je connaissais moins parmi ces objectifs : les avantages et laissez-passer dont bénéficient encore les anciens députés. Leur mandat est terminé, ils ne sont plus eurodéputés, mais ils ont encore accès au Parlement européen, ils peuvent être accompagnés par d'autres personnes. C'est assez frappant, qu'est-ce qui justifiait ces droits là ?
Oui, on peut être frappé par cela. En même temps, les parlementaires qui se sont beaucoup investis, ceux qui ont conservé un lien avec le Parlement sont aussi ceux qui ont eu une activité parlementaire la plus aboutie. Si je dis les choses autrement, ceux qui sont venus en touristes comme parlementaires européens, qui ont fait un mandat puis ont cherché d'autres types de fonction, ont sans doute un autre regard par rapport au Parlement européen. C'était un usage. Il a besoin d'être réglementé. Mais ce n'est pas tant l'accès au Parlement qui pose souci, encore qu'il faille qu'il soit réglementé, je le redis. C'est davantage ce qu'on y fait, la substance qu'on en retire. Quand on est un ancien parlementaire et qu'on agit bénévolement dans une association, et qu'on utilise son portefeuille pour essayer de faire valoir un certain nombre de causes, je ne pense pas qu'il y ait de problème notable. En revanche, quand on est un ancien parlementaire européen, et qu'on fait commerce de son portefeuille, c'est une autre histoire. Donc il y a besoin de réglementer aussi sur ce sujet. [...]
Parmi les autres objectifs que le Parlement s'est fixé pour l'avenir proche, pour essayer d'augmenter cette responsabilité et cette transparence du Parlement européen, il y a une plus grande réglementation à mettre en place sur le travail des députés eux-mêmes. Comment cela va se faire concrètement ? Je crois savoir qu'il y avait déjà un registre de transparence. Pour dire les choses grossièrement, est-ce qu'on va encore plus flicker le travail des eurodéputés ?
Certains le disent de cette manière là. Ce sont ceux qui sont hostiles à avoir des côtés contraignants. En gros, tous les parlementaires sont habilités à rencontrer des représentants de la société civile sous ses diverses formes. Je pense que c'est plutôt sain, car on n'a pas la science infuse. Un parlementaire ne sait pas tout. Pour forger son esprit, des solutions pour nos concitoyens, pour travailler sur les textes, pour avoir de la jurisprudence, des exemples, il rencontre des gens de l'extérieur. Et c'est bien normal. [...] Il faut effectivement que cette rencontre soit réglementée par deux choses : le fait qu'on rencontre des entités qui sont inscrites sur le registre de transparence, d'une part, et d'autre part qu'on puisse donner une liste de ces rencontres. Pour que le public qui s'y intéresse puisse regarder qui a fait partie de nos rencontres. Cela ne veut pas dire que lorsqu'on rencontre quelqu'un, on prend intégralement ce qu'on nous dit pour le traduire en législation. On n'est pas idiots à ce point-là. Même lorsqu'on est parlement européen, on a un libre-arbitre. Donc il y a ces deux choses à mettre en place. [...] Avant, on n'était pas obligés. Il y avait une obligation pour les rapporteurs, ceux qui sont en charge d'un texte, pour les présidents de commissions [...]. Là il faudrait que ce soit pour tous les parlementaires, qu'on ait une sorte d'empreinte des personnes que l'on rencontre. Sans effectivement que ce soit nécessairement pour absorber ce qu'on nous dit. Un mot sur le registre de transparence : je veux rendre hommage aux personnes qui travaillent sur le registre de transparence. J'ai connu cette équipe quand elle était très réduite - à 3 -. Maintenant, ils et elles sont un peu plus nombreuses, mais il y a besoin de renforcer en ressources humaines et en financement l'équipe du registre de transparence, qui non seulement a un devoir de surveillance mais aussi de contrôle. [...] C'est un énorme travail [...]. J'invite le public à regarder, ce registre de transparence est public. Vous avez tout un tas de données sur les entités qui y sont inscrites, le nombre de personnes qui sont consacrées au lobbying, le volume financier qui y est consacré, les thèmes, les lieux.
Vous disiez au début de cet échange que dans une affaire de corruption, il y a toujours deux parties : la personne qui s'est laissée corrompre, et celle qui est venue corrompre l'autre acteur. En ce qui concerne les représentants d'intérêts externes, groupes d'influence etc., eux aussi est-ce que leur travail va être durci ? Le Parlement européen n'étant pas une entreprise privée, à quel point peut-il dicter la conduite de ces acteurs ?
Dans ces rencontres, qui sont je le redis parfaitement naturelles, il faut que l'interlocuteur que vous avez en face, ne fasse pas cette démarche sous le manteau. L'idée c'est qu'on puisse avoir une idée claire sur les personnes et entités que l'on rencontre. J'insiste sur un point : les gouvernements, autorités nationales des Etats tiers n'avaient pas l'obligation de s'inscrire au registre de transparence avant de pénétrer au Parlement européen. C'est assez stupéfiant, mais c'était la réalité. Il y a vraiment une marge de progression à faire sur ce sujet là. [...]
Quelles vont être maintenant les prochaines étapes ? Comment les parlementaires vont-ils se mettre d'accord pour mettre en place cette réforme ? Est-ce qu'il y aura un vote, ou bien cela se fera-t-il de manière purement bureaucratique ?
[...] Roberta Metsola a fait des propositions. Les groupes travaillent à des propositions supplémentaires. Mon groupe a repéré notamment que la Haute autorité ne figurait pas dans ces propositions. Il y a beaucoup de brainstorming dans les groupes en ce moment. On va faire nos propositions. Et je crois avoir compris que la présidente voudra s'entourer d'une sorte de task force qui va l'aider à mettre en forme ces idées pour que la fin du mandat se passe dans de meilleures conditions avec de meilleures règles entre nous. Pour ajouter une chose : évidemment, on est dans une tourmente au sein du Parlement européen, mais dans les institutions européennes, il n'y a pas que le Parlement européen. Et il faudrait selon mon point de vue ne pas se contenter de regarder ce qui se passe au Parlement européen. Autrement dit, pour l'instant il y a un certain nombre de règles qui sont propres à la Commission européenne - je le rappelle, 30 000 personnes y travaillent et sont à la source de la législation [...] - donc pour l'instant les règles ne me semblent pas très contraignantes pour les commissaires, leurs directeurs d'administration et de cabinets, pour rendre publics leurs rendez-vous. [...] Et le Conseil de l'UE a longtemps été complètement absent des règles de transparence. Il ne figurait pas au registre de transparence, et on s'intéressait assez peu à tout cela. Maintenant le Conseil participe de l'accord interinstitutionnel sur le registre de transparence. Là aussi, sans aller dans les détails, je pense que le Conseil a probablement quelques efforts de transparence à faire. Finalement d'une certaine manière, les principaux agents d'influence sont souvent les Etats, y compris les Etats-membres de l'UE.
Comment rendre cette mesure efficace ? Qu'est-ce qui empêcherait un ministre, sur son temps de mandat européen d'être irréprochable, puis de faire toutes les rencontres qu'il/elle souhaite sur son temps de mandat national ?
Parce qu'il y a aussi des règles nationales. [...] Prenons l'exemple d'une présidence tournante du Conseil de l'UE, qui là aussi est au cœur de la législation européenne. On est soumis à plein de demandes de rendez-vous. Je ne trouve pas anormal qu'à un moment donné on rencontre des entités qui sont membres du registre de transparence, et qu'on donne lecture des rencontres que l'on formule. Cela ne me paraît pas insurmontable.
Merci Sylvie Guillaume pour avoir répondu à ces questions.