Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Le 21 novembre 2024, la Cour Pénale internationale à émis des mandats d’arrêts internationaux contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, et le chef militaire du Hamas, Mohammed Deif. Q’est-ce que cela signifie concrètement ?
Ces mandats d’arrêt de la CPI signifient que si Benjamin Netanyahou ou Yoav Gallant se rendaient dans l’un des 124 États membres de la CPI, ces pays auraient l’obligation juridique de les arrêter et de les remettre à la Cour. Cela repose sur le Statut de Rome, qui est le traité fondateur de la CPI. L’Union européenne, dont tous les membres sont signataires de ce traité, est donc légalement tenue de respecter cette décision.
Qu’est-ce qui a motivé la décision de la CPI ?
La CPI a émis ces mandats d’arrêt suite à une enquête pour des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les faits reprochés à Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant concernent des actions militaires dans la bande de Gaza, en particulier entre octobre 2023 et mai 2024, où des violences massives ont causé des dizaines de milliers de morts, en majorité des civils. Mohammed Deif, chef militaire du Hamas, est également visé pour des crimes similaires liés à des attaques contre Israël.
Quels sont les impacts concrets de ces mandats sur la scène internationale, notamment pour l’Union européenne ?
Ces mandats d’arrêt ont des implications majeures. Théoriquement, tout État membre de la CPI, et donc de l’Union européenne, est tenu de les exécuter si les personnes visées entrent sur leur territoire. Cela place les États européens dans une position délicate, surtout ceux ayant des relations diplomatiques étroites avec Israël. Certains pays, comme l’Espagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, ont affirmé qu’ils respecteraient leurs obligations légales. D’autres, comme la France et l’Allemagne, restent plus vagues sur leur position.
Pourquoi ces divergences au sein de l’Union européenne ?
Elles reflètent des tensions entre l’engagement européen envers le droit international et les relations stratégiques avec Israël. Par exemple, l’Allemagne a souligné son soutien à la CPI mais aussi son « lien unique » avec Israël, tandis que des pays comme la Hongrie critiquent ouvertement la CPI et refusent de coopérer. Ce manque d’unité met en lumière les divisions sur les priorités diplomatiques des États membres. Enfin, certains pays, comme la Hongrie, s’opposent ouvertement à ces mandats. Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, a même invité Netanyahou à Budapest en assurant qu’il ne serait pas arrêté
Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a été particulièrement clair sur ce sujet. Que dit-il exactement ?
Oui, Josep Borrell a insisté sur le fait que les décisions de la CPI ne sont pas politiques mais judiciaires, et qu’elles doivent être respectées. Il a également souligné que les États membres ne peuvent pas appliquer ces mandats de manière sélective : soutenir la CPI pour certains cas, comme pour la Russie, mais pas pour d’autres, en l’occurrence Israël, nuirait à la crédibilité de l’Union européenne en matière de droit international.
Que se passe-t-il si un État membre refuse de coopérer avec la CPI ?
Si un État ne respecte pas ses obligations en vertu du Statut de Rome, il peut être accusé de violer le droit international. Toutefois, dans la pratique, les conséquences sont souvent limitées et dépendent de la volonté politique de la communauté internationale de faire pression. Cela dit, un tel refus pourrait avoir des répercussions diplomatiques et affaiblir la position de l’Union européenne sur la scène internationale.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.