Eurominute d'Euan Walker

La direction de Twitter par Elon Musk - Les stratégies de désinformation de la Russie

La direction de Twitter par Elon Musk - Les stratégies de désinformation de la Russie

Euan Walker est chargé de missions internationales à Mines Paris – PSL et assistant de recherche et d’enseignement à l’ESSEC. Diplômé en histoire et en sciences politiques de Durham University et de la Ruprecht-Karls Universität Heidelberg, il poursuit actuellement un master en économie et politique publique à l'ESCP. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.

Cette semaine, Euan Walker et Laurence Aubron discutent de la direction maladroite de Twitter par Elon Musk et de ses conséquences pour les stratégies de désinformation de la Russie.

Pour en revenir à l'actualité européenne de la semaine, les changements apportés à la plateforme Twitter soulèvent toujours des inquiétudes...

En effet, comme de nombreux·ses utilisateur·rices de l'application ont pu le constater cette semaine, Twitter a été le théâtre de plaisanteries concernant la décision d'Elon Musk de revoir le système de vérification de l'identité des utilisateurs de la plateforme. Ces fameux "badges-bleus", qui étaient auparavant accordés à des célébrités ou à des sources fiables afin de vérifier l'identité de personnalités notables sur la plateforme, sont maintenant uniquement disponibles par le biais de l'abonnement "Twitter Blue". Pour ne rien arranger, la plateforme a décidé de supprimer les indicateurs signalant les comptes médias affiliés à un État. Le résultat ? Un réseau social, auparavant largement utilisé pour s'informer rapidement sur l'actualité, est désormais envahi par des sources d'information non vérifiées, mais qui payent leur badge bleu et qui contribuent aux efforts de désinformation orchestrés par certains régimes.

Les changements apportés à la plateforme ont-ils déjà eu des conséquences ?

Reset, une ONG basée à Londres qui suit l'utilisation des réseaux sociaux par les gouvernements autoritaires pour diffuser leur propagande, a déjà constaté que depuis la mise en œuvre de ces modifications, les comptes des médias d'État russes ont vu leur audimat augmenter de 33 %.

Peut-on dire que ces controverses ont des conséquences géopolitiques ?

Oui, c'est indéniable. À la lumière de cela, les dirigeant·es, plus particulièrement dans les pays d'Europe de l'Est qui sont intimement conscients des menaces russes, tentent de tirer la sonnette d'alarme sur le fait que l'agression militaire de la Russie en Ukraine n'est qu'une facette d'une stratégie de guerre plus large qui comprend également l'utilisation d'outils numériques. La Première ministre estonienne, Kaja Kallas, a exprimé ce sentiment dans une interview accordée à The Economist le 17 avril, dans laquelle elle souligne la cybermenace russe. Elle a appelé à une plus grande reconnaissance et, par conséquent, à une meilleure préparation des stratégies contre la cyberguerre de la Russie qui, au-delà des attaques contre les bases de données et les infrastructures de télécommunications européennes, comprennent également des campagnes de désinformation en ligne et des tentatives d'influencer l'opinion publique en sa faveur.

Quels sont les enjeux de ces stratégies d'agression numérique ?

Le danger que représentent les stratégies d'influence, de par leur nature même, est multiforme. Les médias d'État russes disposent d'un large éventail de propagande qu'ils ne manqueront pas d'utiliser pour tenter de détourner l'opinion publique civile du soutien à l'Ukraine dans le conflit actuel. Un bref coup d'œil aux titres des médias russes du mois dernier illustre rapidement le message que le gouvernement russe cherche à diffuser tant au niveau national qu'international : la faiblesse du soutien militaire européen à l'Ukraine, l'implosion inévitable de l'Union européenne et la montée réussie des partis d'extrême-droite alignés sur la Russie à travers le continent, prêts à sauver l'Europe de sa dégénérescence... nous suivons cela très scrupuleusement avec l’équipe d’Europe Info Hebdo.

Mais comment ces objets de propagande seront-ils instrumentalisés ?

Eh bien étant donné le conflit qui se poursuivra certainement pendant un certain temps en Ukraine, cette manipulation de l'opinion publique présente des menaces indéniables en risquant de polariser l'opinion publique sur le sujet et donc, d'affaiblir le soutien de l'Europe à l'Ukraine. À plus court terme, comme on le voit dans des pays comme la Moldavie ou la Géorgie - dont les populations pour les deux ont de sérieuses aspirations européennes, ces stratégies de désinformation encouragent l’extension de la sphère d'influence de la Russie. L’espace communicationnel en faveur de l’UE disparaît dans ces pays et décourage tous ceux qui y sont favorables. Au final, la mauvaise gestion de Twitter par Elon Musk la semaine dernière, si elle en a fait rire plus d'un·e, doit être considérée comme la partie émergée de l'iceberg des nouvelles menaces géopolitiques qui définissent aujourd'hui l'ère numérique. Merci à la semaine prochaine !

Merci à vous. Chers auditeur·rices, n'hésitez pas à vous abonner à la page LinkedIn "Europe Info Hebdo" pour retrouver ces analyses et bien d'autres sorties quotidiennement - à la semaine prochaine!

Entretien réalisé par Laurence Aubron.

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English version :

Elon Musk's management of Twitter - Russia's disinformation strategies


This week, Euan Walker and Sophie discuss Elon Musk's clumsy management of Twitter and its implications for Russia's disinformation strategies

Returning to Europe's news of the week, changes to Twitter are still raising concerns…

Indeed, as many of the app's users will have seen this week, Twitter has been rife with jokes about Elon Musk's decision to overhaul the platform's user identity verification system. These so-called "blue-ticks", which were previously given to celebrities or trusted sources to verify the identity of notable figures on the platform, are now only available through subscription to Elon Musk’s newly added "Twitter Blue" service. To make matters worse, the platform has decided to remove disclaimers for state-affiliated media accounts. The result? A social network that was once widely used for quick news updates is now overrun by unverified news sources that pay for their blue-ticks and, in so doing, contribute to disinformation efforts orchestrated by certain regimes.

Have the changes to the platform already had an impact?

Well, Reset, a London-based NGO that monitors the use of social networks by authoritarian governments to spread their propaganda, has already found that since the changes were implemented, Russian state media accounts have seen a 33% increase in viewership.

Would it then be fair to say say that these controversies have geopolitical consequences?

Yes, that is undeniable. In light of this, leaders, especially in Eastern European countries that are acutely aware of Russian threats, are trying to sound the alarm that Russia's military aggression in Ukraine is just one facet of a broader war strategy that also includes the use of digital tools. Estonian Prime Minister Kaja Kallas expressed this sentiment in an interview for The Economist on the 17th April, in which she highlighted the Russian cyber threat. She called for greater recognition and, consequently, the development of strategies to counter Russia's cyber warfare, which, beyond attacks on European databases and telecommunications infrastructure, also include online disinformation campaigns and attempts to influence public opinion in its favour.

What is at stake in these strategies of digital aggression?

The dangers posed by strategies of influence, by their very nature, are multifaceted. The Russian state media have a wide range of propaganda talking points at their disposal, which they will certainly use to try to divert public opinion from supporting Ukraine in the current conflict. A quick glance at the headlines in the Russian media over the past month quickly illustrates the message the Russian government is seeking to spread both domestically and internationally: the weakness of European military support for Ukraine, the inevitable implosion of the European Union and the successful rise of Russia-aligned far-right parties across the continent, ready to save Europe from degeneracy... the Europe Info Hebdo team is following these developments very closely.

But how will these propaganda talking points be used?

Well, given the conflict that will certainly continue for some time in Ukraine, this mediatic manipulation presents undeniable threats by way of potentially polarising public opinion on the subject and thus, weakening Europe's support for Ukraine. In the shorter term, as seen in countries such as Moldova and Georgia - both of whose populations have serious European aspirations - these disinformation strategies encourage the expansion of Russia's sphere of influence. The communicative space for the EU is disappearing in these countries and discouraging all those who are in favour of it. In the end, Elon Musk's mishandling of Twitter last week, whilst amusing to many, should rather be seen as the tip of the iceberg of the new geopolitical threats that define today’s digital age.

Thanks, see you next week!

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Interview by Sophie Girstmair